jeudi 22 novembre 2007

La carotte et le bâton

Je fais partie de ce gens qui angoissent à la veille de leurs examens. Il n’y a pas de peur plus irrationnelle que celle-ci, et j’ai peur de la sonnerie du téléphone, c’est dire si je m’y connais en peurs irrationnelles. Angoisser la veille d’un examen est l’exemple même de l’inutile contre-productif. Il est trop tard pour avoir des regrets, (fallait bosser avant « et pis c’est tout » comme dirait guignol-philippe Lucas) et il est inutile de s’inquiéter si on a suffisamment travaillé. Quoique, ce réconfort-ci est un leurre lorsqu’on s’apprête à subir un examen dans le système français. « Subir » est bien le mot approprié, si l’on considère le nombre de paramètres hors de contrôle qui influent sur le résultat final :


1) la chance : LE bon sujet, par opposition au sujet qui cerne le c) du 2) du IV) du chapitre III), duquel on ne garde qu’un souvenir fort vague.
2) la chance encore : LA bonne journée, parce que qu’on le veuille ou non, il y a bien des jours avec et des jours sans…
3) la chance toujours : être bien placé dans le tas de copies à corriger. Compter avec l’humeur et la patience du correcteur.


Entrent seulement ensuite en compte à leur juste valeur les efforts fournis. Ils payent, parfois. Bon, mais relativisons, avec ou sans l’aide de la providence, dépasser le 14 relève généralement plus de l’exploit que de la norme. C’est comme ça.

En Italie, les choses se passent différemment. Les examens sont oraux, ce qui ne les rend absolument pas plus faciles, loin de là, mais ce qui permet au professeur de tester effectivement le niveau de connaissance de l’étudiant. On commence par quelques questions « de cours », bateau, histoire de d’éliminer tout de suite ceux qui n’ont ouvert le livre que la veille au soir. Puis on enchaîne avec des questions appelant à plus de réflexion, des questions un peu plus « science po », si j’ose dire.


Mais je vais trop vite en besogne, je vous livre mon analyse avant de vous avoir livré mes impressions.

Tout d’abord, la panique : convocation, papier d’identité officiel avec photo récente, stylo qui marche, montre à l’heure, toutes ces choses ne sont ni requises ni utiles. L’appel était décidé pour le 20 novembre à 16h. J’avais évidemment demandé à Francesca au moins un demi millions de fois « mais t’es SURE que je dois m’inscrire nulle part, prévenir quelqu’un que je veux faire cet exam ? - Non, non, il n’y a rien à faire, fais moi confiance ! ». Effectivement, la procédure se résume à bien peu de choses : à moins dix, je me pointe à la fac, décontractée (toujours jouer sur les apparences à l’oral, ne jamais laisser transparaître sa peur, l’examinateur, tel le fauve à l’affût, sent l’angoisse des faibles et attaque d’autant plus impitoyablement.) Je m’adresse à l’accueil, on me remet une feuille type « Je soussignée – déclare passer l’examen de – ce jour – signature. » Puis je me dirige vers la salle indiquée. On prend place à l’intérieur ; le professeur et deux de ses assistants arrivent une demi-heure plus tard (les italiens et la ponctualité s’ignorent réciproquement). Ils se partagent le tas de feuilles-types laissées à l’accueil et appellent les étudiants un à un. Certains sont évacués en dix minutes chrono, soit qu’ils aient été brillants et qu’il soit inutile de les retenir plus longtemps, soit qu’ils n’aient manifestement pas assez étudié, auquel cas, l’examen se termine tout aussi promptement. Ceux interrogés par les assistants sont tout de même obligés de passer devant le professeur, lequel leur demande si la note leur convient. Je suppose qu’en cas de réponse négative, le professeur testera lui-même l’étudiant avant de décider de modifier ou non la note. Dans tous les cas, qui est insatisfait de sa note PEUT la refuser et repasser l’examen au prochain « appel » (plus ou moins tous les deux mois). Ce système permet par exemple de ne pas avoir à se bourrer le crâne de huit cours magistraux différents en même temps, mais d’étaler au contraire la masse de travail. Les deuxième-années à scpo lille connaissent bien l’effet néfaste que produit l’enchaînement de huit partiels de trois heures sur quatre jours. C’est violent, et c’est rien de le dire.

Autre différence notoire avec le système français, et non des moindres, ici, on reçoit des bonnes notes. C’est fou, ça me rappelle l’école primaire, quand la maîtresse donnait des bons points quand on travaillait bien. Mais la véracité du « si je travaille bien, j’ai de bonnes notes » s’estompe parfois même dès les années-lycée. A quoi bon ? Je me sens dans ce système comme un âne qu’on espère faire avancer en lui balançant une carotte devant le nez. Seulement je ne suis pas un âne, je vois très bien que je pourrais bien encore marcher jusqu’à épuisement que je n’atteindrais pas la carotte. Donc on arrête très vite de travailler « pour les notes », on travaille « pour soi » ou « pour son avenir » ; mais dès qu’un classement quelconque intervient ou qu’un diplôme est délivré, on s’en réfère…aux notes. Quelqu’un d’autre relève un paradoxe ici ?

Celui qui s’amène à l’examen les mains dans les poches en Italie se fait recaler. Good bye, try again la prochaine fois, et travaille avant ça marche mieux. Il n’y a pas de « rattrapage », de nombre de chances ou de temps limité : le but du jeu est de comprendre et d’apprendre chaque cours, chacun a son rythme et selon ses capacités. Ceux qui travaillent bien et approfondissent le cours sont récompensés de la note maximale (30), voire accompagnée des félicitations (Trenta e lode). Pour les plus masochistes il est possible de repasser l’examen autant de fois que nécessaire pour décrocher la note maximale, histoire d’avoir un diplôme sans tâches, sans « accidents ».

Je suis dubitative. Bon, en rangeant ma mauvaise foi cinq minutes au placard, je note que la diversité des deux systèmes repose sur une différence de conception de la fonction fondamentale de l’examen : Le système italien récompense les étudiants studieux. Les autres reçoivent pour toute sanction une invitation à réitérer leurs efforts, à charge pour eux de décider s’ils veulent se diplômer à 24 ou à 28 ans révolus… Le système français part du présupposé que les étudiants sont studieux. C’est ce qui caractérise leur statut d’étudiant. Aussi, les étudiants studieux ne sont pas récompensés ; ils échappent à la sanction. C’est là la différence fondamentale. Ici, l’examen récompense les efforts fournis, chez nous il sanctionne. Mais que sanctionne-t-il au juste ? Que teste-on quand on enferme 300 étudiants dans un amphi, le même jour à la même heure sur UN sujet (parfois deux, grâce au seigneur magnanime) ? La quantité de notions de cours débitées au paragraphe carré ? Le débit d’écriture ? L’endurance physique et intellectuelle au quatrième jour d’épreuves consécutif ?

Cette différence de conception de la fonction de l’examen conditionne la préparation : pour éviter d’échouer, il vaut mieux parier sur le cours, tout le cours, et rien que le cours, surtout quand on en prépare huit à la fois. Qui prend le luxe d’en approfondir un ou deux prend aussi le risque d’en rater un autre. Et comme il suffit d’un point pour faire la différence entre une première et une deuxième session (et donc une centaine de places au classement), c’est un pari risqué. L’audace paye mal.
Quand on a le choix de la date, on peut adapter sa préparation à son ambition. Passer deux examens, avec des bibliothèques ouvertes en soirée (23h, contre 18h30 à Lille2…) laisse le choix d’approfondir, et également les moyens pour ce faire. Et si on n’est pas prêt, on n’est pas en forme, on le sent pas et on se ramasse, on prend les mêmes et on recommence le mois prochain, sans conséquences. Et on retrouve la fonction « pédagogique » du contrôle version collège/lycée, destiné à identifier les erreurs et les lacunes, afin d’y remédier.



J’en reviens à ce mardi 20 novembre, 16 heures, à cette salle de cours ordinaire, et ces trois examinateurs devant lesquels les étudiants se succèdent. Je crois que je n’avais jamais été aussi anxieuse avant un examen, et qu’aucun examen n’avait jamais eu moins d’importance que celui-ci : j’y allais « pour du beurre » puisque je testais seulement la moitié du programme, et que de toute manière je revenais en janvier pour passer le programme complet. J’ai été appelée presque immédiatement par l’assistante, mais le professeur, m’ayant reconnue, est intervenu pour s’occuper de mon cas. Il m’a fallu attendre deux heures que tous soient passés, pour qu’il m’appelle finalement à mon tour. L’oral à la française façon « scpo » n’est pas un examen, c’est un duel sanguinaire dont l’unique but est de survivre aux tirs en rafales. L’examinateur vous pose une question, ne pas répondre ! c’est un piège. Il faut dégager une problématique, et y répondre en deux parties deux sous parties. (Sauf qu’on n’est pas obligé de souligner les titres à l’oral.) Forcément, par habitude, j’étais sur la défensive, et je me suis pris quelques « mais vous ne répondez pas à la question ! » (bien sûr que non, c’est un piège, je suis une dinde mais quand même…)
Plaisanteries mises à part, je m’en suis bien sortie, à en croire les compliments du professeur. Ce n’est pas un ami dont le rôle est de vous rassurer (mais si tu parles très bien !), non, lui, c’est un juge impartial et objectif. Ces compliments-ci sont d’une espèce rare. Il parait que j’ai tout bien compris tous les concepts et les problématiques, et que j’arrive à me faire comprendre selon ses termes. J’ai surtout retenu la résurgence de l’intense frustration des premières semaines. En révisant mon langage technico-juridique, j’ai omis d’enrichir mon vocabulaire de mots de liaisons, ou de verbes communs. J’aurais peut être dû ouvrir mon bled de conjugaison à la page du subjonctif, histoire de ne pas écorcher l’oreille de mon interlocuteur à chaque fois que je me lançais dans une subordonnée relative. La barrière de la langue, encore et toujours, qui crée ce décalage enrageant entre une pensée structurée et une expression verbale infantile. « Alors l’état doit faire les services publics parce que dit la constitution. Et il y a la garantie de légalité, donc l’administration doit faire les services publics mais respecter la loi. Et il y a la libre initiative économique. » etc… Je suppose que ça doit être assez déroutant d’écouter une gamine de huit ans disserter sur la théorie du service public.

Aussi pour la prochaine session, j’ai décidé de moins réviser mes concepts que mes mots de liaison. Le professeur attend de me faire passer la deuxième moitié de l’examen avant de m’attribuer une note définitive, mais il me valide cette première moitié « entre 27 et 30. » Je sens bien une pointe de compassion pour la petite Erasmus visiblement intéressée par la matière, et on va dire que je lui en suis reconnaissante.

Ça change de la froide indifférence de la prof de droit pénal romain, dont le débit de parole et la force de l’accent « hoha-hola » ne faiblissent pas.

À bientôt

C.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Excellente analyse comparée des modalités d'examen des deux côtés des Alpes. Je ne suis pas sûr pour autant que le système italien soit idéal comme cela me paraît ressortir du billet mais bon... (ah oui, en France, je suis de l'autre côté de la barrière : peut-être pas très objectif alors)

Célimène a dit…

Mon enthousiasme vis à vis du système "positif" italien mis à part, je ne le trouve pas "idéal". Il tombe dans l'excès inverse : en privilégiant ainsi l'oral comme forme reine de l'examen, il néglige d'entraîner à l'écrit.

Ai-je précisé que les professeurs ne donnent jamais de "devoirs" ? Jamais de travail personnel obligatoire, jamais de dissertations, fiches de lecture, etc... Autrement dit : jamais d'écrit. Quand on voit le niveau en orthographe de certains étudiants français, qui pourtant sont habitués à noircir des pages à longueur de temps, il y a de quoi pâlir.
Je me demande ce qu'il en est de l'aisance des étudiants italiens à l'écrit...

Je n'ai comparé qu'un seul aspect des examen français et italien dans ce billet.