lundi 20 juin 2011

Change of Heart

Top of the CN Tower, Toronto, june 12th 2011.

To C. & C.

Change of Heart

I am at a thousand feet up in the sky

And I don't ever want to touch the ground.

I have flown overseas

Wandered across a hundred cities

I have met over one thousand souls

Every parting has left me with an open wound.

My body bears too many scars

Blood dripping out of them

Like tears pouring from my eyes

What could be worth such a dear price ?

Friendship alone makes it worthwhile

These ties alone keep me alive.

I have said good bye one too many times,

One too many chunks ripped off my heart

Have turned me ghost, stumbling, aimless,

Struggling alone, emotion-wrecked.

Take it all away

For I am up a thousand feet high,

And would never want to touch the ground.

All I need is far less than I already have,

My hopes and dreams, my loves and flaws

Are all I truly care about for now.

The void I feel inside my heart

Restores some balance in my life

The emptiness I wished be filled

Is fuel enough to keep me standing

Moving on: a widespread lie

For he who's up high in the sky

Shall never want to touch the ground.

Moving on: should I abide?

Would there be purpose walking forward

When all I love I left behind?


A change in the wind has freed my mind

This tear running shall be my last

I will stay up a thousand feet high

And I shall never ever touch the ground.


Make choices. Make mistakes. Over and over again.



dimanche 3 octobre 2010

L'Insolence Suprême


Qu'est ce que tu veux que je te dise ?
Que je m'excuse d'abuser du bonheur
Comme une gamine qui s'écœure
À se gaver de friandises ?

Mais qui s'en lasse de cette ivresse
De ces transports, de cette liesse
Qui nous dispensent d'être raisonnables ?
Rire aux éclats est un remède à la tristesse
Et le monde en est tant fait qu'être heureux demande du courage.
Eux croient qu'à marcher lentement ils vivront plus longtemps.
Moi je cours car je ne cherche pas à finir le voyage
J'avance hardie, avare, au prix de chaque instant.

Aussi loin que mes tripes me diront qu'il est sage
Je pousserai ce corps jusqu'à l'épuisement.
Vivre avec précaution c'est mourir avec des regrets.
Quitte à claquer d'une overdose je préfère vivre dans l'excès.

Oublie ces vaines promesses que tu t'es faites,
Au diable ces règles que je déteste
Vivre sans risques est un jeu auquel j'exècre.
J'en vois tant qui se craignent de peur de se blesser
Qu'ils me laissent affronter la vie dans toute sa cruauté
Quitte à laisser des plumes, que ce soit assumé.

Je choisis, tant pis si l'on souffre tant qu'on aime
L'heure tourne, sans justice, peut être suis-je prochaine
Pas une minute à perdre à implorer le ciel
Dans quel but, pour quoi faire ? L'issue serait la même.
J'ai scellé sciemment mon sort quoiqu'il advienne,

J'ai l'insolence de vivre. C'est un péché mortel.

dimanche 25 octobre 2009

Souvenirs, Rue de la Clef

[NDLR : commencé en février 2009, terminé le 22 octobre 2009, TGV de 20h11.]

C'est ma rue préférée, à Lille. A quelques pas de la Vieille Bourse, repaire des bouquinistes et des joueurs d'échecs, elle relie discrètement la place de l'Opéra à celle de Bettignies, dans le Vieux Lille. Une petite rue étroite et sinueuse, aux pavés usés par les pas des passants, parallèle à la rue des Arts.

J'aime jusqu'à son nom, ce petit objet mystérieux, très commun mais si précieux : la clef. J'aime ses boutiques intrigantes, tendances, vintage, détente, jusqu'aux muffins du Notting Hill Café. J'aurais passé des jours entiers à l'intérieur de cette petite librairie, à la vitrine ornée d'extraits de pièces de théâtre, si mon père (et principal sponsor financier) ne s'était empressé de m'interdire d'approcher cette boutique à moins de dix pas (sous peine d'opposition immédiate sur ma carte bleue). Je change de trottoir. Soupir… Ah, si j'étais riche !

Et puis, rue de la Clef, il y a ce petit restaurant qui ne paie pas de mine, et pourtant, c'est le meilleur italien de Lille. De Lille que dis-je ? De France et de Navarre assurément ! Je l'avais repéré à sa carte, rédigée en italien et présentée sur du vieux parchemin. Et puis, je l'ai trouvé surprenant. La salle était au sous-sol, invisible depuis l'entrée, dont le décors avait à lui seul de quoi étonner : les murs étaient couverts d'une vieille tapisserie sombre, laquelle tombait en lambeaux par endroits, découvrant une autre tapisserie plus ancienne encore. Un peu partout pendaient de lourds rideaux de velours jadis rouges, assombris par la poussière et rongés par le temps. Ça et là de vieux tableaux aux cadres kitsch pendaient nonchalamment, à moitié décrochés. On se serait cru dans l'antichambre du comte Dracula.

Je m'étais alors contentée de prendre leur carte de visite. Puis j'étais revenue, avec mes parents, un week end de juillet, alors qu'ils étaient venus m'emménager dans mon nouvel appartement. Nous étions allés dîner chez Ricordi, rue de la Clef. Si le décor de l'entrée du restaurant avait de quoi surprendre, la salle à dîner n’avait pourtant rien à lui envier : une dizaine de marches étroites enroulées sur elles-mêmes plus bas, et l'on se retrouvait dans une chapelle. Une vingtaine de couverts tout au plus, en deux tablées parallèles séparées par une allée. Au fond, "l'autel" de ce sanctuaire : deux tables rondes, mais surtout, une statue de la Vierge pour présider l'Office. Surprenant alliage d'antique et de moderne dans le mobilier, de kitsch et de sacré dans la déco. Et puis, c'était une cave, et sa fraîcheur contrastait agréablement d'avec la pesante atmosphère de ce jour de grande chaleur.

Nous avions passé une excellente soirée, dans cette ambiance singulière, attablés devant un grand art de cuisine italienne. Un miracle fait des plats les plus simples. Des pâtes fraîches et du vin au goût ensoleillé.

La qualité de cette cuisine, aussi humble que délicate, je l'avais retrouvée sous le soleil d'Italie, avec des accents toscans. J'y repensais, pendant cette année italienne. Diable que ces divines saveurs allaient me manquer, une fois rentrée à Lille. Je gardais précieusement dans mon portefeuille la carte de visite de mon restaurant lillois, Ricordi. Comme un talisman contre la distance qui s’étale, et le temps qui s’enfuit, une amulette qui me permettrait d'ouvrir mes souvenirs, pour en extraire les saveurs et les parfums de mon histoire italienne, de les ouvrir comme on feuillette un livre, lorsque la nostalgie des jours de pluie viendrait me ronger l'âme. C'étaient évidemment beaucoup de responsabilités confiées à une petite carte. A un petit souvenir…

J'avais l'habitude de passer rue de la Clef pour me rendre dans le Vieux Lille, le soir. Julia habitait place Louise de Bettignies, et lorsqu'elle n'était pas notre hôte, nous commencions la soirée à l'Australian Bar. De retour d'Erasmus, au quotidien lillois, les soirées se sont faites beaucoup plus rares. Ce n'est qu'au beau milieu d'une nuit de novembre que mes pas m'ont conduite, à nouveau, rue de la Clef. Plus que jamais ce soir-là, ce boyau bordé de hautes façades vieillissantes, irrégulièrement pavé, me rappelait les travées médiévales de mon QG Toscan. Il y avait tellement de Sienne dans cette rue, jusqu'à ce vent glacé de novembre, qui me battait les jambes (fort peu couvertes au demeurant…).

Je descendais vers l'Opéra, cherchant du regard mon précieux refuge. Mais il n'y était pas. Je l'avais sans doute dépassé sans m'en rendre compte. Après tout, la soirée avait été arrosée… (modérément, cela s'entend.)

Deux fois j'ai parcouru, fébrile, cette rue si familière et ce soir, tellement étrangère. Ignorante du froid piquant qui me mordait les doigts, j'ai sorti la précieuse petite carte de mon portefeuille, comme pour vérifier qu'elle au moins était toujours là ; que je ne l'avais pas rêvée.

N°20, rue de la Clef.

Jamais je n'ai été aussi désespérée de me trouver face à la vitrine d'un magasin de chaussures. D'ordinaire, cette situation me procure la plus grande joie. Mais pas ce soir. Je fixais la vitrine et le reflet sombre qu'elle me renvoyait. Ricordi n'était plus là. C'était comme si l'Italie toute entière, Rome et la Sicile n'avaient été qu'un souvenir. Sienne, les apéro, les oliviers, le chianti, les pâtes, les rires, les flirts, comme si tout ceci n'était plus qu'un souvenir, tout comme mon refuge était ce soir réduit à ce petit bout de carton, plié dans mon portefeuille.

Ce qui me frappait ce soir, n'était rien d'autre qu'une évidence à laquelle je semble tout simplement ne pas pouvoir me faire. Le temps passe. Le temps avait passé. Sienne, c'était il y plus d'un an déjà. Le dîner de famille chez Ricordi, mon déménagement, c'était il y a près de trois ans déjà. Le temps passe et m'échappe, les secondes filent et disparaissent comme des grains de sable à travers un tamis. Elles filent et entraînent avec elles des minutes, lesquelles, l'air de rien, font évader des heures, qui feront passer en douce des jours, des semaines, des mois, et tout à coup, c'est tout un an qui a filé sans qu'on ne s'en soit rendu compte. Maudites secondes. Je déteste perdre mon temps. A chaque seconde qui file, j'ai le sentiment de laisser échapper ce temps précieux, que je surveille constamment, ardemment, assidûment, consciencieusement…par obsession. Agenda, calendrier, planning, alarmes, Reminder, je chronomètre, je millimètre, aveuglée par l'illusion de pouvoir le contrôler : si j'enferme les secondes, le temps ne pourra plus m'échapper. C'est peine perdue, ou pure folie, évidemment, que d'espérer arrêter un mouvement perpétuel !

Mais en ce soir de novembre, l'évidence s'est enfoncée en moi, aussi perçante et douloureuse que ce vent froid qui me transperçait les os. Méprisant mes actions, défiant mon contrôle, envers et contre ma volonté, le temps avait passé, malgré moi.

Mon arrivée à Lille, Ricordi, l'Italie, ce sont des souvenirs. Rien de plus, mais rien de moins. Ils font partie de ma vie, partie intégrante de cette vie qui avance, envers et malgré moi, emportée par le flot de ces secondes insolentes, ce flot que personne ne peut contrôler. Personne n'a jamais le temps. Ce temps, il faut le prendre.

Depuis, je n'ai pas renoncé à l'illusion du contrôle, je suis simplement beaucoup plus sensible à ses limites. Et je me sers à loisir d'une heure ici, une semaine par là : pour moi, ma famille, mes amis, l'écriture. Parfois, je vais jusqu'à prendre le temps de le perdre. Comme un riche dilapide sa fortune, je me repais du plaisir coupable qu’est celui de jouir de cette précieuse ressource, comme si j’en avais à ne savoir qu’en faire ; je perds mon temps, assise à l’arrêt de bus, à la terrasse de ce café, dans le hall de ce cinéma, à regarder les passants, les gens, les acteurs et les figurants de ce spectacle permanent : ma vie. Ma façon très personnelle de marquer ma rébellion. Si le temps passe et nous entraîne, nous avons pourtant le choix : entre le prendre ou le perdre, le subir ou l’organiser, le vivre, ou le regretter.

Le temps a l’importance qu’on veut bien lui donner. Je l’ai perdu à feuilleter les pages du Ch’ti en cherchant fébrilement un nouveau restaurant italien, où partir me réfugier.

En fait, Ricordi n’a pas disparu. Ils ont juste déménagé. Et moi, j’ai toujours mes souvenirs. Rue de la Clef.



C.

mercredi 29 avril 2009

Sueurs froides

Juste une petite archive sortie des cartons... Juillet 2007.... hihihihi!!!!


« Il fait une chaleur étouffante aujourd’hui », pense la jeune secrétaire de mairie en regardant, l’air rêveur, le ciel d’acier. La salle d’accueil est déserte. A cette heure-ci, on franchit rarement le seuil de la mairie, les gens travaillent. C’est plutôt calme, l’après midi. De son index, elle remonte ses lunettes sur son nez, et se remet à taper. Elle doit finir de mettre en forme le compte rendu du dernier conseil municipal. Dans cette petite commune de moins de mille habitants, les conseils sont vites expédiés, sans opposition, et sans véritable enjeu. Le téléphone a sonné deux fois dans l’après midi. Un fois, c’était monsieur le maire pour dire qu’il passera vers 16h pour signer les documents. La deuxième, c’était Alice, la vieille dame qui la croise tous les matins quand elle promène ses caniches.

« l’an deux mille sept, le 7 juin, le conseil municipal de la commune de … S’est réuni dans le lieu ordinaire de ses séances sous la présidence de Monsieur …. Maire.

Présents : »

Mmmh. La liste d’émargement. Elle pousse un soupir, puis se lève et se dirige vers les étagères au fond de la salle. « Ah ! liste d’émargement. ».

Et c’est à ce moment là qu’elle l’entendit.


Elle n’a pas reconnu le bruit tout de suite, mais elle a senti que quelque chose n’allait pas. Après tout, cela ne faisait que quelques semaines que la mairie avait été équipée d’un fax, et elle n’avait pas eu véritablement l’occasion de s’en servir depuis. Secrétaire en mairie d’une petite commune, c’était calme.

La machine vibre et s’excite en crachotant une feuille de papier. A mesure qu’elle libère la lettre, la secrétaire sent la panique monter ; elle a reconnu l’entête de la préfecture. Elle espère que ses yeux lui jouent un tour. Ce n’est pas possible, pas ici !


Elle repense à ce jeune conseiller juridique qui était venu, il y a quelques mois de cela, proposer ses services à la mairie. « A cause du contrôle de légalité », avait-il dit, « pour se protéger. Vous ne voulez pas qu’ils vous envoient un recours. » Les conseillers municipaux avait doucement ri ; 30 ans qu’ils sont élus, c’est pas un jeune blanc bec qui va leur faire peur avec ces histoires à dormir debout ! Ca se saurait si l’Etat se mêlait de contrôler les actes du conseil municipal, par l’intermédiaire d’agents fourbes et assoiffés de zèle, harcelant le préfet afin qu’il défère les actes desdites communes.

On ne l’avait pas cru.


Tout de même, ce fax. D’une main hésitante, elle saisit la missive préfectorale. Tout y est. Des articles du Code sont visés, et même cités. Et surtout, à la fin, au dessus de la signature du secrétaire général, la fameuse mention, celle contre laquelle le jeune homme les avait mis en garde.


« vous voudrez bien procéder au retrait de l’acte dans le délai de deux mois qui m’est imparti pour le déférer devant la juridiction administrative et faire réexaminer le dossier en tenant compte des observations formulées. »


elle n’y croit pas… pas eux ! Pas ici ! Il est 17h. La porte s’ouvre, et Monsieur le Maire, joviale, la salue chaleureusement.

« Bonsoir Jeannine ! Du neuf ? »

Debout au milieu de la salle, Jeannine lui tend la lettre d’une main tremblante, sans un mot.


Il est 17h. Quelque part, en préfecture, un jeune contrôleur agrafe soigneusement un recours gracieux fraîchement faxé aux pièces du dossier, un sourire aux lèvres.


Il les avait prévenus.

mardi 28 avril 2009

Ghost

Foreword : I decline responsibility for the poor grammar. After all, this still is a foreign language to me.



It happens sometimes when you sleep. The brain diggs up memories from a distant past, and mix them up with some recent ones, like what happened during your day, for example. Or distorting time and space. Dreams do that.


The strangest thing happened to me Saturday night. I was attending a talent show at an international exchange student week end. Teens from Taïwan to Thaïland, Northern Europe, Australia, US, Canada, Latin America, the strangest party of guests, spending the evening together, in this small town, middle-of-nowhere street. And yet, the scene seemed oddly familiar. A sort of deja-vu from sometime like five years ago : when I was an exchange student myself, distric seven-o-four-o, Ontario, Canada. I did attend a party just like this one, got dressed up, performed a small act, sang my anthem, just like these kids did.

But I wasn’t dreaming. I wasn’t even asleep. I sat there wide awake, blinking furiously, trying to get some focus on the picture, trying to re-order time and space : this was a memory. MY memory. They weren’t there, we weren’t in France. But the harder I stared at their faces, the clearer it became : I was actually staring at my international friends, the ones I made when I stayed in Canada. I recognized delicate Mikie from Japan, showing the girls some ballet steps, under the features of this Taïwanese girl. It was indeed dear Paulina from Brazil, wearing her traditional outfit, chanting around with a bunch of Latino Girls. Gaby, Kata, all of them were here again tonight. Even Bill, the cute Rotex back from Japan, being the equally cute Tim, also Rotex from Japan. It was the same story , featuring the same characters, being told over and over again. Every year. Everywhere. The book I could not close was actually just a chapter, of a yet bigger book.


You would think that five years of time, five happy years of a rich and busy life would have healed the scars of heartbreaking and tearful goodbyes between dear friends. Apparently, not. One nineteen years-old American girl and her guitar ripped open an old wound, with nothing but a couple of notes and a song she wrote about her experience. The chorus going :”it’s almost time for me to go”. She wasn’t finished yet that tears had already flooded my eyes, running down my cheeks. Damn the sound of guitar. It would get to me anytime, it’s like Kryptonite against Superman. I wasn’t moved by the lyrics. Of course not. I am so over this. Obviously.

Four more performers followed her, each of them being rather fun, so I quickly switched back to the joyful mood of this entertaining night. Or so I thought. Not fifteen minutes later, another teen had a slideshow projected on the screen, featuring pictures of the exchange student during their year, during parties, trips, etc... with appropriate music, of course. It was enough to bring the tears out again. I did manage to hold it together when the Fin girl and her Taïwanese friend, both gifted with breathtaking voices, performed a romantic song in a beautiful duet. But when, as a last presentation, another rather nostalgic slideshow was displayed, with many thanks to the Rotary for “the best year of my life”, I had to sneak out of the room, and go up a deserted floor, to let the flood out. Tears were pouring out my eyes like blood out of an open wound. I kept seing over again the pictures from the slideshow. Why on earth were they getting to me like that, I had never seen these people before, I don’t even know their names. But it wasn’t them I was seing on the pictures. I was looking at my own foreign friends, from district 7040. It was torturing. Maddening pain, making me lose all self control. I was caught off my guard. Usually, I don’t surrender that easily. When in a tough situation, I raise my head and fight back. But I didn’t know what I was supposed to fight. I felt powerless. The rage resulting from this complete helplessness was killing me. What am I supposed to do ? How am I supposed to overcome such a distant past, that is obviously still deeply affecting me ? I remember losing a grandfather, and the pain resulting from the loss. I would rather bury ten more grandfathers than having to deal with the pain that silly unharmful talent show woke up last night. Grieving is easier, because people understand. This is different. I don’t even understand it myself, how are other people supposed to help ? I waited over half an hour before being able to pull myself together. I then rallied the dorms and went to bed. I felt empty. I slept a dreamless night, and woke up with the same emptiness.


Pierre had asked me to this week end in order to share my experience with the Outbounds, the teens the Rotary was about to send abroad, this summer. I felt it was beyond my strength. I did manage to tell and share, but I avoided talking about “after”. The return. Any mention of it, I felt the tears ready to come out again. Clearly, I had not been ready to do this. But who would have understood ? It’s been FIVE years, for heaven’s sake, how many more am I going to need to put the pain behind ? Looking back, I noticed it was only the second time in five years that I was indeed, attending this week end, as a “Rotex”. The first time being the same year I came back from Canada. Each year since, I had taken advantage of iron-cast excuses, in order to avoid it. I either had exams, an intership going on, or had been away on a trip. I found it pathetic ; I owe them so much, and I couldn’t gather up the courage to pay them back by passing on my experience ? So this year, when I got Pierre’s email, I quickly checked I was not sitting exams. And I hit “reply” immediately, not allowing me to think it over ; this way (so I thought!) I would not chicken out. But when I booked my return ticket, I chose the earliest train out ; later was too late. Somehow, staying over the whole week end seemed kind of ... long. Pierre mentionned I could get a ride to Metz, and take a train there... So I changed the ticket. But I then half-asked permission not to wear my blazer, the Rotary jacket we custom during our exchange year. I pretexted fear to mishandle it during the long train trip. Yeah, that was the actual reason. It wouldn’t have been because, carrying around my memories from Canada is painful enough, without having to wear them actually pinned to my chest. Of course not.

I had been resisting my own decision all the way there. Honestly, it had been fine, really, until that girl, her guitar and her song. And those slideshows. Turns out, I was even less ready then I tought. For god’s sake I didn’t even know these people ! I did NOT know that girl, and she broke me down with a SONG ? What she did, they did, they brought ghosts out of the closet. I have two lives going on, but I can only live one at a time. Neither is truly complete, for each is missing the part that the other feeds on. I cannot bring myslef to end either one of these lives, because it would mean severing the ties that bound me to the people connected to it ; I cannot let go of these ties. But I could not keep them all. So I let some of them whither and die on their own. Some got ripped off, against my will. Over the years, I healed the wounds resulting from it. That’s just the way life goes. Sometimes, both lives collide, when a memory resurfaces. For a second, I see a clear picture of it, the people, the canadian moment. An angel passes, as they say. But Saturday night was different. Whenever I dream of Canada, I picture myself with the waist-long hair I wore back then. Even when I imagine going back, in the future. But life went on without me. Even if I went back, I wouldn’t be anything but a ghost. For them, I am a memory, just as they are for me. You can’t leave your life on “pause” an expect to start back from there once you return. I learnt it the hard way when I returned to France. Why would going back to Canada be any different?


Sunday morning at breakfast, Pierre jokingly said to me “so, last night, got a bit nostalgic eh ? I guess a certain slideshow did poke a sensitive spot, right ?!”


Yeah, you could say so. I just ripped my stitches out.

mercredi 22 avril 2009

Microcosmos

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite.


Le village me fascine. Celui d’où je viens, ceux où j’ai vécu. Chaque village est un monde à part, qui a ses habitudes, et ses habitués. Les mamies du club couture se retrouvent le mercredi pour préparer le marché de Noël, celui de Pâques, la tombola de la St Jean, la Sainte-Cécile, etc, et peu importe : les occasions de vendre des napperons (et des parts de tartes) ne manquent pas. Les vieux jouent à la belote le lundi, et au tarot le jeudi. (car le mercredi, le foyer est occupé par le club couture, vous suivez ?) Le mardi soir, il y a la chorale, qui mélange les âges et les catégories socio-professionnelles. Le mercredi soir, les femmes tiennent leur séance de gymnastique hebdomadaire(Si si,j'y étais !) Enfin, certains dimanches –après la messe, tout le village se retrouve pour un rassemblement festif, à l’ambiance bon enfant. Les générations passent, et les habitudes persistent.

Que ce soit en petit comité, entre-soi de sa génération, en réunion semi-sérieuse (comme le club chorale) ou en assemblée plénière (comme le dimanche midi), chaque réunion est le moment privilégié d’échange des nouvelles du village, quand elle n’en est pas l’objet principal, à peine déguisé en un prétexte douteux (le club de gym) ; pour parler branché, c’est le moment où l’on «update» les «mini-feeds» du village. Et chacun de commenter allègrement, de diffuser, de moquer, de critiquer, de saluer, etc… Bref, Facebook n’a rien inventé. Chaque dimanche, lorsque les photos circulent, les aînés pratiquent «le tag» sans le savoir. «mais siii, là c’est donc la marie-jo, la nièce de l’oncle du philippe !» «oooh mais oui, mais là alors c’est donc le père de la jacqueline !» etc etc etc. Bien sûr, comme sur Facebook, ces discussions n’ont d’intérêt pour le quidam que s’il appartient au réseau ; autrement dit, s’il est connecté, d’une manière ou d’une autre, au village dont s’agit. Ainsi, malgré des années d’absences, je reste un membre à part entière de la communauté, chacun pouvant exhiber à loisir les photos de mes premières prestations théâtrales à la fête de l’école, celles de mes frères, celles du mariage de mes tantes, jusqu’aux très compromettantes photos du 18 juin, sur lesquelles j’apparais vêtue du costume traditionnel lorrain (ce pourquoi j’ai décidé de renoncer à toute carrière politique : racheter toutes les photos compromettantes, ajouté au silence des habitants de mon village eut été vain, et bien trop onéreux.)

L’étranger au village est par définition le dernier arrivé ; il est l’objet de toutes les curiosités. Qui est-il, d’où vient-il, que vient-il faire ici ? Face à la pression, notre étranger serait tenté de se réfugier derrière ses rideaux. Grave erreur. Le meilleur moyen de couper court aux ragots est de jouer cartes sur table, en répondant aux questions de chacun. Et très vite, l’étranger n’en est plus un. Surtout que dans un village, personne ne reste « étranger » bien longtemps.

Je ne suis déjà plus l’étrangère de ce village-là. Encore une petite jeunette, qui n’est là que pour quelques mois ; résidente provisoire venue compléter ses études. On la laisse volontiers s’asseoir à notre table, prendre part à nos débats, mais nous savons bien que cette demoiselle ne s’éternisera pas. De toute façon, «le buzz» au village ces derniers temps, c’est l’arrivée du nouveau curé. L’ancien a pris sa retraite, et l’on attend le remplaçant promis par le diocèse. On se renseigne comme on peut ; qui est-il, quelle est son histoire, pourquoi vient-il ici ? Ce futur «étranger au village» suscite déjà une polémique globale, à l’échelle du comté. Le villageois n’aime guère être bousculé dans ses habitudes, et un curé, on dira ce qu’on voudra, ça reste une figure d’autorité. Une autorité absolue même, que ce chef de paroisse exercera dès son arrivée. Personne n’est sans histoire, et un curé, ce n’est pas un vagabond. Aussi, chacun tire les ficelles qu’il peut. Madame Machin connaît quelqu’un qui connaît la femme de quelqu’un, qui connaît très bien l’aide servante de Monseigneur Truc. Une femme qui a travaillé avec lui pendant quinze ans, pensez-donc ! Une source d’information précieuse. Madame Bidule, la bibliothécaire de l’école primaire a appelé une collègue, en poste dans la paroisse où exerçait précédemment Msgr Truc. Et alors, Madame Bidule a récolté tout ce qu’on en a pensé, de Msgr Truc, dans ce village d’avant. La bibliothécaire, qui a travaillé avec Msgr Truc pendant un temps, l’a décrit comme étant un «gentil-colérique». Ou un «colérique-gentil». Elle ne sait plus. L’association de ces deux qualificatifs apparemment peu conciliables a été longuement discutée au cours du club cuisine.

L’inconnu fait peur, l’inconnu effraye, surtout celui qui entre directement aux plus hauts échelons de la hiérarchie du village ; on accueille sans trop s’en méfier celui qui habitera la maison juste avant le panneau de sortie du village ; en revanche, on se mêlera de plus près de l’arrivée d’un nouvel instituteur, ou justement, d’un nouveau curé. Nom de nom, c’est tout de même celui qui va prêcher la bonne parole, imposer le dogme sur la commune ! Chacun est en droit d’être un peu inquiet, et dans l’attente d’une rencontre, chacun s’affaire à récolter des informations, afin de préparer sa «première impression». Surtout maintenant que l’ancien curé est parti, alors là, les jeux sont ouverts, tous les coups sont permis !

Mais on attend de le voir, ce nouveau curé. Au pot de départ de l’ancien, il n’y était pas –il parait que cela ne se fait, d’inviter son successeur. Mais cette semaine, l’étranger-point-d’interrogation était l’événement : une visite du village était prévue. Allait-il visiter l’école, le foyer, la mairie, ou se contenter de repérer la chapelle et la sacristie, guidé par M. le maire et une poignée de notable ? Allait-il rencontrer la présidente du club couture, celle de la chorale, celle du club de gym ? Tant de questions, et autant de conjectures largement débattues chaque midi. Et puis, la visite a eu lieu. Juste lorsqu’on croyait avoir épuisé les hypothèses possibles, voilà que l’intéressé fait une apparition, relançant la machine à potins à pleine puissance. Le moindre fait, le moindre mot se propage à travers la population aussi rapidement et irrémédiablement que l’onde à la surface de l’eau. Incertitude quant à la date de son entrée en fonction, on ressasse alors l’arrivée et le départ des curés précédents, aussi loin que les vétérans s’en souviennent.


Juger n’est pas donné à tout le monde, et pourtant, tout le monde juge. Sans savoir, sans connaître, peu importe, ces jugements-là n’ont de définitif que le ton de celui qui les prononce. Ce ne sont que des mots, des sentiments, des affirmations déjà contredites et abandonnées. L’étranger au village a ce pouvoir, celui de concentrer sur son fantôme l’attention de la communauté. Mais il n’est pas le seul. Au village, les gens vont et viennent, presque au rythme des saisons. Qui part, qui reste, qui vient, ou revient, ici on n’attend pas qu’un panneau « à vendre » pousse sur une parcelle pour annoncer un départ, ou prospecter un nouveau. On se croirait dans une partie de « chaises musicales » grandeur nature. Et si on pouvait pousser la chaise de certains, ce ne serait pas de refus ! Ah mais attention, ça dépend de « qui vient prendre sa place » ! Non parce que si le voisin plie bagages, les résidents mitoyens retiennent leur souffle : si on pleure le départ d’un bon vivant, on appréhende douloureusement son remplaçant. On n’ose guère, pour les mêmes raisons, sabrer le champagne au départ d’un indésirable… Les gens sont parfois cruels entre eux, parfois sans le vouloir.

Outre le «buzz» du moment, il y a la routine de ces réunions hebdomadaires. La naissance d’une petite-fille donne un prétexte aux femmes de la chorale pour se raconter leurs histoires d’accouchement, faire un concours d’heures de travail et de cicatrices (bon appétit). Au club couture ce matin-là, on commentait plutôt –pour la 250ème fois ce mois-ci, la coiffure peu orthodoxe de ce jeune instituteur, dont chacun s’accorde à louer le professionnalisme et le charme ; une rare exception à la règle des ragots, qui ne parle de qualités que lorsqu’elle échoue à trouver des défauts. Une vraie perle cet instituteur. Et quel bel homme ! Ah, c’est comme le maître des CM1, lui aussi, quel charisme, un charme fou ! Et puis lui, c’est un dragueur hein, pas un timide, on en profite pour rappeler ses faits d’armes ; Ah, rumeur toujours, on s’interroge, le jeune instit’ des CM2, n’y aurait-il pas anguille sous roche avec la maîtresse des maternelles 3 ? Après tout, ils partagent le même bureau, on ne sait jamais… Oh mais c’est pas comme la directrice du 3e cycle, elle c’est pas « Sœur Sourire », c’est plutôt « Mère Sévère » ! Faut la voir mener son département à la baguette, avec elle, ça file droit !

Et puis, il y a le maire, et le directeur de l’école. On l’aime bien, Monsieur le Maire. C’est un monsieur un peu âgé avec beaucoup de caractère. Il ne manque pas d’autorité ni de sagesse, et on le respecte pour les deux. Le directeur quant à lui, est un homme sérieux, et extrêmement consciencieux, chacun s’accorde à le reconnaître, même si personne ne voudrait être à la place de ses secrétaires ; la rigueur qu’il s’impose, il l’impose également à ses proches collaborateurs. C’est pour le bien du service, évidemment, mais les considérations d’intérêt du service ne suffisent pas à convaincre ces dames du bien-fondé de leur surmenage, non pas lorsque leurs collègues de la mairie s’arrêtent deux fois la journée pour une pause café prolongée. Ah, de toute façon, personne n’est jamais content avec ce qu’il a, et se plaindre, entre nous, c’est l’activité majeure de ces dames, et le sujet de discussion privilégié du club couture. Alors hein ! Et puis ça défoule, et ça ne coûte rien.


Je ne suis plus l’étranger au village, plus depuis que je déjeune à leur table. Plus depuis que d’autres sont arrivés après moi. Plus depuis que «l’étranger», c’est officiellement ce nouveau curé, dont tout le monde parle, mais que personne ne connaît. Et puis, moi aussi, je suis d’un village. Et tous les villages se ressemblent, dans cette façon que ses habitants ont de délimiter leur territoire et leur population, cette façon de tenir chacun à jour des agissements des autres, cette façon de transformer des non-événements en petits «happening» quotidiens. L’anonymat des villes m’aura presque fait oublier cette ambiance intimiste, indiscrète du village : où chacun surveille, commente et critique ce que fait son voisin…

Heureusement, en cherchant bien, le village n’est jamais loin…

C.

samedi 11 avril 2009

(in) Justice ...

Certains êtres étranges passent leur temps libre à écumer les salles d’audiences du tribunal administratif. D’aucuns pourraient croire que le spectacle n’en vaut guère le détour ; la procédure étant écrite, il est vrai que l’audience n’est pas un moment privilégié de débat. Si vous voulez du verbe, des plaidoyers, de l’action et du sang sur les murs, mieux vaut vous rabattre vers le pénal et le correctionnel. Il suffit de lire Maître Eolas & co pour apprécier. N’allez pas croire pourtant qu’au tribunal administratif –TA pour les initiés, rien ne se passe. Certes, il faut s’y connaître un minimum, maîtriser les codes (au sens profane, comme au sens juridique) pour pouvoir s’y retrouver. Une audience au TA est un peu comme une pièce de théâtre présentée en langue étrangère : il n’y a pas de sous titres. Si vous ne parlez pas la langue, vous y perdez forcément.


Je me souviens de cette audience, par une après midi estivale, il y a deux ans. Ce devait être la 2ème ou 3ème fois que je mettais les pieds au tribunal. Pour voir. J’étais curieuse. J’avais appris «les bases», et toute aventurière que je suis, j’étais venue explorer cette terre inconnue armée de quelques notions de survie. Et je confrontais mon savoir tout frais à la réalité d’une audience. A gauche, la greffière. Au centre, derrière un imposant bureau, le président, assisté de deux conseillers. A droite, le commissaire du gouvernement –désormais « rapporteur public », mais à l’époque, on l’appelait encore commissaire… Dans la salle, quelques personnes, quelques avocats en robe, dossiers sur les genoux. Face à l’estrade de velours rouge, deux bureaux, de part et d’autre de l’allée centrale, en face du président. La greffière appelle la première affaire du rôle. Les parties s’avancent, et prennent place chacune à un bureau. On se lève pour parler au président, qui donne la parole d’abord au rapporteur, puis aux parties, puis au commissaire du gouvernement, pour l’exposé de ses conclusions. A chaque fois, le rapporteur résume brièvement les faits, les avocats s’en rapportent à leurs écritures (la procédure étant écrite, nul besoin d’en rajouter). Puis le commissaire vient présenter son avis juridique dûment argumenté sur l’affaire, répondant aux moyens soulevés par les parties. Il conclut au rejet de la requête, à l’annulation de la décision faisant grief, au versement de dommages et intérêts, etc… C’est à l’exposé de ces conclusions que l’audience administrative doit tout son intérêt.


Mais ce jour-ci était particulier. C’était une audience particulière.


Les affaires avaient toutes pour objet d’obtenir la condamnation de divers centres hospitaliers ; j’en déduisais qu’il s’agirait pour l’après midi de contentieux de la responsabilité hospitalière. A défaut de spectaculaire, il y avait pourtant du dramatique ; la plupart des « parties représentées » étaient des « ayants droit ». Comprendre : les veufs et veuves, ou les descendants. Apparemment, quand on vient chercher la responsabilité d’un centre hospitalier devant le TA, c’est que quelqu’un est mort, a été amputé d’un membre, empoisonné accidentellement, a perdu de la « qualité de vie », et j’en passe. Je saisissais des bribes d’histoires, un aperçu des drames personnels entre les lignes des conclusions du commissaire. Les mots étaient parfois durs, lorsqu’ils se bornaient à qualifier, objectiver, quantifier des souffrances que j’avais de la peine à imaginer. Mais ce n’étaient que des mots. Une jeune avocate s’était installée au bureau, et enchaînait les affaires. Elle ne cherchait pas l’apitoiement des juges, et s’accommodait parfaitement de cette neutralité. Ses arguments étaient juridiques, leur décision serait impartiale.

Les avocats partis, la greffière a appelé les affaires suivantes. Une à une, les parties se sont succédées au bureau, ne présentant aucune observation, écoutant les conclusions, avant de repartir. J’observais les gens présents dans la salle, essayant de deviner quel motif les avaient amenés ; qui avaient-ils perdu, de quoi avaient-ils souffert, pourquoi étaient-ils ici aujourd’hui ? Impossible ou presque, de distinguer l’orpheline de la veuve. Ici, les « délais » de jugement avaient gommé les traces. La colère et la douleur de l’accident avaient eu le temps de cicatriser, dès lors que plusieurs années s’étaient écoulées entre l’accident et le jour de l’audience. Les veuves ne pleuraient pas. Les handicapés avaient surmonté l’épreuve. Tous avaient accepté ce qui leur était arrivé. Ils venaient chercher un chèque, pour la plupart. Tous, sauf un. Un couple avait retenu mon attention. La femme, un peu forte, d’une quarantaine d’année, était assise épaules courbées, tête baissée, et pleurait en silence, à demi dissimulée derrière un rideau de cheveux châtains. L’homme à ses côtés, était assis droit sur sa chaise, inexpressif, le regard vide. Même la Marianne au fond de la salle derrière les juges avait un regard davantage empreint de lumière et de chaleur, et pourtant, ses yeux à elles étaient sculptés dans le marbre. Quelque chose leur était arrivé, à tous les deux. Lorsque la greffière a appelé leur affaire, l’homme s’est levé mécaniquement, sans bouger la tête ni cligner d’un œil. On aurait dit un automate. D’un geste, il a secoué doucement l’épaule de sa femme, comme pour la réveiller. Puis il est allé s’asseoir au bureau, le regard toujours fixé dans le vague, quelque part au fond de la salle. La femme est venue s’asseoir à côté de lui, toujours voûtée, les joues toujours brillantes de ses larmes silencieuses. Le président a donné la parole au rapporteur, et ses mots pesaient plus lourd qu’une sentence. Mme X avait été admise au CHR Y pour un accouchement. Il y avait eu des complications, le médecin accoucheur avait dû pratiquer une césarienne. Il y avait eu des complications. Mme X a souffert d’une paralysie de la hanche. Le nourrisson avait survécu 72 heures. Et il était mort. M. et Mme X se retournaient contre le CHR Y et demandaient réparation des préjudices résultant du handicap partiel de Mme X et de la mort de leur enfant. La procédure avait été diligentée contradictoirement, des mémoires avaient été échangés, et c’était en cet état de l’instruction que l’affaire se présentait à l’audience du jour pour qu’il y soit statué. Il y avait quelque chose d’indécent, de profondément outrageant dans le ton neutre, expéditif, professionnel du magistrat. C’était un drame qu’on ne souhaite à personne, une souffrance que l’on n’imagine pas qu’il venait d’établir en quelques phrases, et d’affubler vulgairement de ce qualificatif insupportablement banal : des « faits ». La salle était parfaitement silencieuse. Elle était presque vide, et avait été silencieuse tout au long de l’audience. Mais ce silence-là était différent. Le président l’a rompu, pour donner la parole aux parties. Le CHR n’était ni présent, ni représenté. Le président a voulu passer la parole à Mme X, s’est adressé à elle, mais elle n’a pas levé les yeux. Elle sanglotait toujours. Il s’est alors adressé à M. X, lequel, mécaniquement, s’est levé, et a pris la parole : mais n’a pas su en faire usage. Il a bien articulé des mots, mais il omettait de les articuler ensemble. Il n’arrivait pas à faire une phrase audible. « M. le juge… M. le président… je …. Ma femme… Je voulais dire… pour nous… c’est… » Dans la salle, chacun évitait de croiser le regard de quelqu’un d’autre. Puis, ces quatre mots, enchaînés, une déclaration totalement superflue étant donné les circonstances : « ça nous a détruits ». Silence. «M. le commissaire, vous avez la parole pour vos conclusions ». Je ne sais pas ce que j’aurais préféré. Que ce soit la faute du CHR, une faute inexcusable, que l’Etat soit condamné à verser dix millions à M. et Mme X, que le médecin accoucheur et l’infirmière préparatrice soient chacun condamnés à de la prison pour cette faute inexcusable ; ou au contraire, que tout n’eût été qu’un terrible mais regrettable accident, qu’absolument tout eût été mis en œuvre pour la santé et la sécurité de Mme X et de son enfant, mais que, pour des raisons qui ont échappé aux médecins, aux experts et aux juges, absolument rien ne permette d’expliquer pourquoi l’irréparable est arrivé, comment il aurait pu être évité. Aurais-je préféré qu’on ne puisse y voir qu’une intervention divine, un drame inexplicable ? Je détestais entendre de la bouche de ce jeune commissaire du gouvernement que… les torts étaient partagés. Le médecin accoucheur n’avait commis aucune faute. L’infirmière en revanche, avait injecté à Mme X un produit auquel elle s’était révélée être allergique ; elle a eu une réaction qui aurait pu être évitée, si Mme X n’avait pas omis de signaler une condition préexistante dont elle se savait porteuse ; qui aurait également pu être évitée si l’infirmière avait pris la précaution de demander explicitement à Mme X si elle ne souffrait pas de cette condition ; en tout état de cause (une façon juridiquement correcte de dire « peu importe »), l’injection du produit incriminé n’avait causé que la paralysie partielle de la hanche. Le médecin accoucheur, lui, n’avait pas commis la moindre erreur. Le bébé était né malade. Il avait été transféré immédiatement au service de néonatalogie, et transporté en hélicoptère vers un hôpital spécialisé, mais cela n’avait pas suffi. Il avait vécu trois jours. Les conclusions étaient claires, précises, difficilement discutables. Le commissaire avait bien identifié ce qui relevait effectivement de la responsabilité du CHR, et ce qui ne pouvait qu’être regardé uniquement comme un terrible accident, dont personne ne saurait être tenu pour responsable.

Vint le moment de proposer les sommes que le CHR devra verser à M. et Mme X au titre des dommages et intérêts qu’ils réclament ; le commissaire n’étant pas un juge, ces sommes n’étaient que des propositions qu’il adressait aux trois magistrats. Libre à eux de le suivre, ou d’en décider autrement. Complètement ignorante de la valeur que pouvait bien avoir une hanche, je l’écoutais presque amusée rappeler diverses jurisprudences, calculant les montants des indemnités proportionnellement au pourcentage de handicap résultant de la paralysie partielle ou totale d’un membre ; 3 000 euros apparemment, pour une paralysie partielle de la hanche gauche. Je note.


Puis il y a eu cette phrase, qui m’a glacé le sang. Elle a raisonné dans la salle et fait écho dans ma tête avec une violence inouïe. Un son insupportable que je n’oublie pas.


«(…) préjudice que vous avez l’habitude d’évaluer à hauteur de 7000 euros ».


« préjudice », c’était la mort du nourrisson. L’expression ferait hurler un profane, mais il faut avouer que d’un point de vue juridique, un préjudice, c’est très grave. Mais tout de même. Il y avait un décalage dérangeant entre le mot et la réalité à laquelle il entendait renvoyer.

« 7 000 euros », c’était donc la « valeur » d’un nourrisson de trois jours. S’il avait vécu plus longtemps, la somme aurait sans doute été plus importante. Ce n’est pas la somme en elle-même qui m’avait choquée. C’était simplement le fait d’avoir pu mettre une somme sur ce « préjudice », d’avoir mis dans la même phrase la mort d’un nourrisson, « évaluer », et une somme chiffrée. Pour moi c’était impossible. Si la douleur est inimaginable, incalculable, comment pouvait-on la convertir en euros ?

Le pire dans cette phrase, c’était le mot « habitude ». Comment, comment des « faits » aussi insupportables à entendre, une souffrance si présente qu’elle accompagne M. et Mme X jusque dans cette salle d’audience, comment ce tremblement de terre dans la vie de ces inconnus, comment la foudre qui avait frappé ce jour-là pouvait-elle être une « habitude » ? C’est «habituel» «d’évaluer» des «préjudices» «à hauteur» de «7 000 euros» ? Si c’était cela qu’être juge, je ne voulais rien avoir à faire avec eux. Je sentais la colère monter, tandis que cette phrase résonnait dans ma tête. Je fixais M. et Mme X. Elle était toujours dans la même position. Lui avait enfin bougé la tête : il regardait désormais le commissaire du gouvernement, lequel concluait à la condamnation du CHR au versement d’une somme de 10 000 euros au titre des dommages et intérêts. Il s’assoit. C’était avant la réforme, on ne pouvait pas répondre aux conclusions du commissaire. De toute manière, il n’y avait rien à répondre. M. X tourne lentement la tête du commissaire vers le président. Pour la première fois, son regard s’allume légèrement, comme s’il apparaissait enfin derrière ses yeux. Il murmure «et maintenant ?» Tous les yeux sont sur lui. Le président n’a plus sa voix neutre, stricte et sûre de juge impartial. Il lui parle sur ce ton compatissant et indulgent de celui qui essaye de panser des plaies béantes avec des mots. «Vous avez compris? Vous allez -sans doute- être indemnisés.» C’était un raccourci bien sûr, le commissaire donne son avis mais ne juge pas ; mais M. X était venu aujourd’hui, et puisque personne ne pouvait lui donner ce qu’il était venu chercher, il fallait au moins lui donner quelques mots. Silence. Immobile. «Merci» Silence. Le président se racle la gorge, tente de reprendre sa voix solennelle pour annoncer la mise en délibéré de l’affaire, et informer les parties qu’elles se verront notifier la décision du tribunal dans trois semaines. Puis il ajoute, presque dans un souffle : « Courage ». M.X a disparu à nouveau derrière son regard figé, il se lève, secoue l’épaule de sa femme. Il veut dire quelque chose aux magistrats, mais il semble redevenu incapable d’articuler. Sans un mot, il se retourne et sort de la salle, suivi par sa femme, toujours en pleurs. Le pesant silence et la terrible ambiance de drame qui les avaient accompagnés quitte lentement la salle. Chacun soupire, et le président retrouve sa voix. « Veuillez appeler l’affaire suivante, s’il vous plait ».


Je ne me souviens pas de l’affaire suivante. Je ne me souviens pas des affaires qu’il y a eu avant celle-ci. Je me souviens de cette phrase insupportable, de la souffrance qui accompagnait ce couple, et qui était douloureusement perceptible dans l’air de la salle d’audience, ce jour-là. Je me souviens de ces magistrats, dont le professionnalisme et la neutralité m’avaient exaspérée, choquée, presque révoltée. Mais je me souviens des quelques mots du président, qui s’étaient voulus apaisants, et avaient réussi à reconnecter, pour quelques instants, M. X avec la réalité qu’il semblait subir. Je me souviens que la mort du nourrisson n’était pas une faute, certainement pas imputable au CHR, mais que le commissaire avait tout de même proposé un dédommagement, même si le mot est parfaitement inadapté, qu’on ne peut pas « dédommager » un tel drame. Je me souviens de ce jeune commissaire du gouvernement, qui s’excusait presque de n’avoir pas trouvé de fautes, qui avait semblé vouloir condamner Dieu et les Saints s’il avait pu le faire.


Je n’aurais pas aimé être à la place des trois magistrats de la formation de jugement ce jour-là. Je ne sais pas si j’aurais pu être juge, alors que chaque fibre de mon corps me criait d’être humaine. Ces juges-là avaient su être les deux. Ne pas laisser l’émotion prendre le dessus sur le droit qu’ils ont pour devoir d’appliquer et de faire respecter ; ne pas laisser l’objectivité du droit l’emporter sur leur humanité. Je suis admirative de ce président qui avait su malgré tout sortir un instant de son armure d’impartialité pour offrir une parole réconfortante. Il n’était pas sorti de son rôle. Il avait simplement essayé de rendre un peu de justice à ces gens, dont la situation n’avait rien de juste. Rien d’acceptable. Il n’y avait pas grand-chose à faire pour eux ; mais le peu de justice que les hommes pouvaient leur rendre leur a effectivement été rendue.


J’ai bien l’impression que ce jour n’avait rien de particulier, que cette audience n’était pas particulière. Que c’était sans doute le quotidien du contentieux de la responsabilité hospitalière. Dans le doute, et sous le choc, je ne suis jamais allée vérifier. Fonction publique, marchés publics, urbanisme, fiscal ou référés, toutes les audiences publiques retiennent mon intérêt. Mais je ne suis jamais retournée assister à une audience de responsabilité hospitalière. Je crois que ce jeune commissaire du gouvernement y officie toujours.


Je pense souvent à la maxime qui orne l’entrée de la faculté de droit. « Que la Justice soit forte, et que la force soit juste ». Et pourtant ce jour-là, la salle était dominée par un sentiment d’impuissance. Jamais la « Justice » ne m’avait semblé aussi impuissante face au drame personnel, jamais les aléas de la vie n’avaient semblé aussi violents, insurmontables, jamais la solitude n’avait à ce point rappelé les murs d’une prison ; la « Justice » était bien impuissante ce jour-là, face au désarroi de M. et Mme X.