jeudi 22 novembre 2007

La carotte et le bâton

Je fais partie de ce gens qui angoissent à la veille de leurs examens. Il n’y a pas de peur plus irrationnelle que celle-ci, et j’ai peur de la sonnerie du téléphone, c’est dire si je m’y connais en peurs irrationnelles. Angoisser la veille d’un examen est l’exemple même de l’inutile contre-productif. Il est trop tard pour avoir des regrets, (fallait bosser avant « et pis c’est tout » comme dirait guignol-philippe Lucas) et il est inutile de s’inquiéter si on a suffisamment travaillé. Quoique, ce réconfort-ci est un leurre lorsqu’on s’apprête à subir un examen dans le système français. « Subir » est bien le mot approprié, si l’on considère le nombre de paramètres hors de contrôle qui influent sur le résultat final :


1) la chance : LE bon sujet, par opposition au sujet qui cerne le c) du 2) du IV) du chapitre III), duquel on ne garde qu’un souvenir fort vague.
2) la chance encore : LA bonne journée, parce que qu’on le veuille ou non, il y a bien des jours avec et des jours sans…
3) la chance toujours : être bien placé dans le tas de copies à corriger. Compter avec l’humeur et la patience du correcteur.


Entrent seulement ensuite en compte à leur juste valeur les efforts fournis. Ils payent, parfois. Bon, mais relativisons, avec ou sans l’aide de la providence, dépasser le 14 relève généralement plus de l’exploit que de la norme. C’est comme ça.

En Italie, les choses se passent différemment. Les examens sont oraux, ce qui ne les rend absolument pas plus faciles, loin de là, mais ce qui permet au professeur de tester effectivement le niveau de connaissance de l’étudiant. On commence par quelques questions « de cours », bateau, histoire de d’éliminer tout de suite ceux qui n’ont ouvert le livre que la veille au soir. Puis on enchaîne avec des questions appelant à plus de réflexion, des questions un peu plus « science po », si j’ose dire.


Mais je vais trop vite en besogne, je vous livre mon analyse avant de vous avoir livré mes impressions.

Tout d’abord, la panique : convocation, papier d’identité officiel avec photo récente, stylo qui marche, montre à l’heure, toutes ces choses ne sont ni requises ni utiles. L’appel était décidé pour le 20 novembre à 16h. J’avais évidemment demandé à Francesca au moins un demi millions de fois « mais t’es SURE que je dois m’inscrire nulle part, prévenir quelqu’un que je veux faire cet exam ? - Non, non, il n’y a rien à faire, fais moi confiance ! ». Effectivement, la procédure se résume à bien peu de choses : à moins dix, je me pointe à la fac, décontractée (toujours jouer sur les apparences à l’oral, ne jamais laisser transparaître sa peur, l’examinateur, tel le fauve à l’affût, sent l’angoisse des faibles et attaque d’autant plus impitoyablement.) Je m’adresse à l’accueil, on me remet une feuille type « Je soussignée – déclare passer l’examen de – ce jour – signature. » Puis je me dirige vers la salle indiquée. On prend place à l’intérieur ; le professeur et deux de ses assistants arrivent une demi-heure plus tard (les italiens et la ponctualité s’ignorent réciproquement). Ils se partagent le tas de feuilles-types laissées à l’accueil et appellent les étudiants un à un. Certains sont évacués en dix minutes chrono, soit qu’ils aient été brillants et qu’il soit inutile de les retenir plus longtemps, soit qu’ils n’aient manifestement pas assez étudié, auquel cas, l’examen se termine tout aussi promptement. Ceux interrogés par les assistants sont tout de même obligés de passer devant le professeur, lequel leur demande si la note leur convient. Je suppose qu’en cas de réponse négative, le professeur testera lui-même l’étudiant avant de décider de modifier ou non la note. Dans tous les cas, qui est insatisfait de sa note PEUT la refuser et repasser l’examen au prochain « appel » (plus ou moins tous les deux mois). Ce système permet par exemple de ne pas avoir à se bourrer le crâne de huit cours magistraux différents en même temps, mais d’étaler au contraire la masse de travail. Les deuxième-années à scpo lille connaissent bien l’effet néfaste que produit l’enchaînement de huit partiels de trois heures sur quatre jours. C’est violent, et c’est rien de le dire.

Autre différence notoire avec le système français, et non des moindres, ici, on reçoit des bonnes notes. C’est fou, ça me rappelle l’école primaire, quand la maîtresse donnait des bons points quand on travaillait bien. Mais la véracité du « si je travaille bien, j’ai de bonnes notes » s’estompe parfois même dès les années-lycée. A quoi bon ? Je me sens dans ce système comme un âne qu’on espère faire avancer en lui balançant une carotte devant le nez. Seulement je ne suis pas un âne, je vois très bien que je pourrais bien encore marcher jusqu’à épuisement que je n’atteindrais pas la carotte. Donc on arrête très vite de travailler « pour les notes », on travaille « pour soi » ou « pour son avenir » ; mais dès qu’un classement quelconque intervient ou qu’un diplôme est délivré, on s’en réfère…aux notes. Quelqu’un d’autre relève un paradoxe ici ?

Celui qui s’amène à l’examen les mains dans les poches en Italie se fait recaler. Good bye, try again la prochaine fois, et travaille avant ça marche mieux. Il n’y a pas de « rattrapage », de nombre de chances ou de temps limité : le but du jeu est de comprendre et d’apprendre chaque cours, chacun a son rythme et selon ses capacités. Ceux qui travaillent bien et approfondissent le cours sont récompensés de la note maximale (30), voire accompagnée des félicitations (Trenta e lode). Pour les plus masochistes il est possible de repasser l’examen autant de fois que nécessaire pour décrocher la note maximale, histoire d’avoir un diplôme sans tâches, sans « accidents ».

Je suis dubitative. Bon, en rangeant ma mauvaise foi cinq minutes au placard, je note que la diversité des deux systèmes repose sur une différence de conception de la fonction fondamentale de l’examen : Le système italien récompense les étudiants studieux. Les autres reçoivent pour toute sanction une invitation à réitérer leurs efforts, à charge pour eux de décider s’ils veulent se diplômer à 24 ou à 28 ans révolus… Le système français part du présupposé que les étudiants sont studieux. C’est ce qui caractérise leur statut d’étudiant. Aussi, les étudiants studieux ne sont pas récompensés ; ils échappent à la sanction. C’est là la différence fondamentale. Ici, l’examen récompense les efforts fournis, chez nous il sanctionne. Mais que sanctionne-t-il au juste ? Que teste-on quand on enferme 300 étudiants dans un amphi, le même jour à la même heure sur UN sujet (parfois deux, grâce au seigneur magnanime) ? La quantité de notions de cours débitées au paragraphe carré ? Le débit d’écriture ? L’endurance physique et intellectuelle au quatrième jour d’épreuves consécutif ?

Cette différence de conception de la fonction de l’examen conditionne la préparation : pour éviter d’échouer, il vaut mieux parier sur le cours, tout le cours, et rien que le cours, surtout quand on en prépare huit à la fois. Qui prend le luxe d’en approfondir un ou deux prend aussi le risque d’en rater un autre. Et comme il suffit d’un point pour faire la différence entre une première et une deuxième session (et donc une centaine de places au classement), c’est un pari risqué. L’audace paye mal.
Quand on a le choix de la date, on peut adapter sa préparation à son ambition. Passer deux examens, avec des bibliothèques ouvertes en soirée (23h, contre 18h30 à Lille2…) laisse le choix d’approfondir, et également les moyens pour ce faire. Et si on n’est pas prêt, on n’est pas en forme, on le sent pas et on se ramasse, on prend les mêmes et on recommence le mois prochain, sans conséquences. Et on retrouve la fonction « pédagogique » du contrôle version collège/lycée, destiné à identifier les erreurs et les lacunes, afin d’y remédier.



J’en reviens à ce mardi 20 novembre, 16 heures, à cette salle de cours ordinaire, et ces trois examinateurs devant lesquels les étudiants se succèdent. Je crois que je n’avais jamais été aussi anxieuse avant un examen, et qu’aucun examen n’avait jamais eu moins d’importance que celui-ci : j’y allais « pour du beurre » puisque je testais seulement la moitié du programme, et que de toute manière je revenais en janvier pour passer le programme complet. J’ai été appelée presque immédiatement par l’assistante, mais le professeur, m’ayant reconnue, est intervenu pour s’occuper de mon cas. Il m’a fallu attendre deux heures que tous soient passés, pour qu’il m’appelle finalement à mon tour. L’oral à la française façon « scpo » n’est pas un examen, c’est un duel sanguinaire dont l’unique but est de survivre aux tirs en rafales. L’examinateur vous pose une question, ne pas répondre ! c’est un piège. Il faut dégager une problématique, et y répondre en deux parties deux sous parties. (Sauf qu’on n’est pas obligé de souligner les titres à l’oral.) Forcément, par habitude, j’étais sur la défensive, et je me suis pris quelques « mais vous ne répondez pas à la question ! » (bien sûr que non, c’est un piège, je suis une dinde mais quand même…)
Plaisanteries mises à part, je m’en suis bien sortie, à en croire les compliments du professeur. Ce n’est pas un ami dont le rôle est de vous rassurer (mais si tu parles très bien !), non, lui, c’est un juge impartial et objectif. Ces compliments-ci sont d’une espèce rare. Il parait que j’ai tout bien compris tous les concepts et les problématiques, et que j’arrive à me faire comprendre selon ses termes. J’ai surtout retenu la résurgence de l’intense frustration des premières semaines. En révisant mon langage technico-juridique, j’ai omis d’enrichir mon vocabulaire de mots de liaisons, ou de verbes communs. J’aurais peut être dû ouvrir mon bled de conjugaison à la page du subjonctif, histoire de ne pas écorcher l’oreille de mon interlocuteur à chaque fois que je me lançais dans une subordonnée relative. La barrière de la langue, encore et toujours, qui crée ce décalage enrageant entre une pensée structurée et une expression verbale infantile. « Alors l’état doit faire les services publics parce que dit la constitution. Et il y a la garantie de légalité, donc l’administration doit faire les services publics mais respecter la loi. Et il y a la libre initiative économique. » etc… Je suppose que ça doit être assez déroutant d’écouter une gamine de huit ans disserter sur la théorie du service public.

Aussi pour la prochaine session, j’ai décidé de moins réviser mes concepts que mes mots de liaison. Le professeur attend de me faire passer la deuxième moitié de l’examen avant de m’attribuer une note définitive, mais il me valide cette première moitié « entre 27 et 30. » Je sens bien une pointe de compassion pour la petite Erasmus visiblement intéressée par la matière, et on va dire que je lui en suis reconnaissante.

Ça change de la froide indifférence de la prof de droit pénal romain, dont le débit de parole et la force de l’accent « hoha-hola » ne faiblissent pas.

À bientôt

C.

samedi 17 novembre 2007

Considérations sur les habitudes

Mercredi 14 novembre 2007.

En période d’examen, il convient d’être raisonnable, et de cesser toute activité nocturne afin de récupérer un cycle de sommeil stable et réparateur.

En théorie.

En pratique, il est très difficile de revenir sur ses habitudes, tout autant qu’il est difficile d’en prendre des bonnes.

Je n’ai jamais aimé le matin. La sonnerie du réveil est une violence insupportable qui me cause un stress démesuré. Le fait de se réveiller contre son gré est déjà une violence en soi. Les premières actions ne sont alors qu’une série d’agressions : le froid de la chambre dès qu’on sort du lit, le froid de l’eau, les voix stridentes des publicités à la radio, le buzz du gaz ou du micro-onde, le son clair de la cuillère dans la tasse, le grille-pain qui éjecte ses toast. Il est difficile de trouver un moment de paix le matin. Heureusement, les italiens ont le remède à ces inconvénients. Le café. Le café fait désormais partie intégrante de mes habitudes ; je ne sais pas comment j’ai pu faire pour vivre sans jusqu’à présent, et je n’imagine certainement plus m’en passer. Laissez-moi traduire la réalité décrite par ce mot bien connu. L’Espresso italien n’a rien à voir avec l’Expresso français. Un café, ce sont deux gorgées d’un brevage noir au goût amer puissant. Deux gorgées d’une véritable potion magique à réveiller un mort. Deux gorgées de calme, idéales pour commencer une journée, clore un repas ou relancer une soirée. Deux gorgées seulement pour reconcentrer pleinement votre attention entre deux heures de cours, ce même contre votre gré (et malgré un lendemain de soirée…disons arrosée.) à 70 cts la tasse, le café est une habitude aussi économique que désormais indispensable.

L’apéritif est très vite devenu une habitude, dès les premiers jours. C’est LE moment de détente privilégié de la journée, directement à la sortie du travail ou des cours, ou après la petite heure de sport (très sportifs les italiens, très), on se retrouve entre amis entre 19h30 et 21h00. Chacun consomme selon son humeur, j’avoue avoir développé une certaine addiction au Chianti. Ça ne peut pas faire de mal.
La fraîcheur de l’automne et le changement d’heure ont bien sûr signé la fin de l’apéro version estivale que vous connaissez vous aussi. Ce soir pourtant, pour la première fois depuis un bon moment, je suis allée prendre l’apéritif avec quelques amies. Un verre de vin, quelques « pizzette », et une heure de discussions futiles et amicales, sur tout, et surtout n’importe quoi. Une heure de vacances au milieu des études, et la chaleur du vin pour rappeler la douceur de l’été, qui reviendra. C’était simple et naturel, rassurant, décontractant. Comme une habitude.


Je prends toujours le même chemin pour aller et revenir de l’université, ce même chemin que j’ai décrit dans « nulla di nuovo sotto il sole ». Je le connais maintenant par cœur, et je ne me laisse (presque) plus surprendre par les caprices des pavés. J’ai l’habitude de ces rues, je sais où poser les pieds, à quelles heures la foule est trop dense, combien de temps il me faut pour me rendre d’un point à un autre, à quelles heures la vue depuis le jardin du Tolomei vaut le détour. J’ai l’habitude de ce chemin que je connais par cœur, et pourtant, je continue de marcher les yeux en l’air, à regarder se déployer les façades et se provoquer les gouttières, maladroitement alignées, face à face tant bien que mal alors que les rues tordent et se plient de manière insolente. Je continue de lancer les yeux à droite, à gauche, où je sais qu’une ruelle se dérobe sous des porches fleuries, où je sais que des escaliers pavés s’enfuient vers les sommets, où je sais qu’une fontaine sépare trois portillons. Je remarque toujours l’entrée du quartier général de la Contrada de L’Onde ; surtout quand le drapeau est sorti ; s’il y a un ruban bleu, c’est qu’un garçon est né. S’il est rose, c’est une fille. Si le drapeau est en berne doublé d’un fanion noir, c’est qu’un contradaiolo est décédé.
En entrant dans le jardin du Tolomei, je regarde toujours derrière moi, sur la gauche, sur la ville qui se réveille aux premiers rayons du soleil. Et puis, devant la Toscane, je m’arrête, souvent, si je ne suis pas en retard. Je prends le temps de graver ce tableau dans ma mémoire, en sachant que dans deux heures, lorsque la lumière aura changé, il ne sera déjà plus le même.
Oui, j’ai l’habitude de ce chemin. Mais à la beauté de cette ville, à la magie de ces rues, je ne me suis toujours pas habituée.

Ma vie à Sienne est à l’image du trajet que j’effectue tous les jours. J’y ai mes marques et mes repères, mes habitudes. Et je ne cesse pourtant de m’émerveiller chaque jour de mes découvertes, de ces nouveautés qui m’étonnent toujours.

J’avais dit que je n’écrirai pas cette semaine, parce que je n’avais rien de neuf à raconter ; je n’ai rien fait de remarquable, rien vécu d’exceptionnel. Simplement, une semaine ordinaire… habituelle.

C.



dimanche 11 novembre 2007

Suspension de séance...

Suspension provisoire des activités de ce blog pour cause d'examen de droit administratif en approche...

Non que je passe véritablement mes journées à réviser (je suis Erasmus, faudrait pas pousser) mais j'ai simplement mis un terme provisoire à mes activités "extra-scolaires". Essentiellement pour me donner bonne conscience, je n'en fais pas plus que d'habitude...

à bientôt pour la reprise...

C.

jeudi 1 novembre 2007

Du froid, du vin, et pas de chocolat.

C’est sous le coup de l’indignation et agitée par la révolte que je prends le temps de vous écrire cette semaine. Nous sommes dimanche 21 octobre, il est 21h44, et rien ne va. Il fait 12°C dans ma chambre, ce qui, vous en conviendrez, est fort peu. Outre cet inconfort notoire, ce qui dépasse franchement les limites de l’acceptable, c’est la température ambiante EXtérieure. 7°C. En Italie. En Toscane. AU SUD de l’Europe ! C’est un scandale. Rendez-vous compte ! Moi qui pensais naïvement faire mon hirondelle, partir me la couler douce au soleil le temps que la rude saison s’en reparte vers le Nord. Et au lieu de ça, je me les pèle injustement sur une colline venteuse. En plus la France s’est fait humilier par l’Argentine ce qui fait beaucoup, beaucoup, (beaucoup trop) rire les italiens. Tssssssss.

Ce week-end, c’était « gita erasmus » à Perugia et Assisi. Au programme du samedi, quartier libre dans Perugia en ce dernier week-end de l’ « Eurochocolate », ce que j’avais traduit par « salon du chocolat » avant d’y mettre les pieds. Ce n’était pas un salon du chocolat ; d’abord, il n’y avait rien de gratuit. Les quelques rares échantillons gracieusement distribués au public étaient de l’ordre du carré de chocolat que le cafetier vous sert avec l’expresso. Rien d’extravagant ni d’original donc. Par ailleurs, tout était cher. Pas moyen de trouver le kilo de chocolat « brut » à des prix bradés. Tout était vendu de manière noble, en produit de luxe. Mais pauvre gastronome, celui qui est prêt à dépenser de telles sommes sans avoir pu goûter la marchandise ! Le chocolat, c’est une surprise à chaque dégustation, c’est un poème, c’est un parfum astucieusement composé d’une gamme d’essences, et le mélange plait ou non selon les goûts, les sensibilités. Qui achète un disque sans en avoir jamais écouté un extrait ? Qui achète un tableau sans l’avoir regardé ? Et enfin, pour jouer la carte du produit de luxe, il me parait impératif de faire un effort de présentation. Aucune sculpture en chocolat, aucune présentation artistique, aucun thème, non, que des stands commerciaux de fête foraine, comptoirs, abondance désordonnée, vendeurs/e désagréables, peu enclins à détailler pour vous la composition de leurs produits. Ils vous répondent sur ce ton exaspéré qui sous-entend « vous n’avez qu’à le goûter ! » Certes. Le chien se mord la queue. C’est un cercle vicieux.

Il a fait froid, très froid ce jour-là. Mais le rire réchauffe le corps et l’âme, et je dois dire que je me marrais bien. Nous étions partis pour deux jours, retour le dimanche soir. Moi bien sûr, en aventurière aguerrie, je me suis limitée au minimum, le ramenant au nécessaire : une serviette de toilette, ma brosse à dents, juste ce qu’il faut de rechange. J’ai hésité, puis finalement pris mon crayon et mon mascara parce que nous allions tous en discothèque le samedi soir, et qu’un minimum de standing s’impose. Sans oublier trois pulls (superposables) dont la polaire « cold-proof » censée me protéger contre le froid saisissant qui règne la nuit dans…ma chambre. La même polaire m’a permis de passer une journée convenable tandis que l’écrasante majorité des Erasmus (au féminin) claquait bruyamment des dents dans leurs petits jean-vestes d’autonome. Les mêmes avaient pourtant emporté une valise entière, soulevant l’ombre d’un doute dans mon esprit embrumé par le lever matinal (« on part bien que deux jours oui ? ») Puis arrivés à Perugia, confrontés à un évident choc thermique, j’ai bien sûr pensé, les malines ! Elles ont regardé la météo, elles ont bourré leurs sacs de vêtements chauds. Que nenni ! Entre les sèches-cheveux, les friseurs, les lisseurs, les vingt-cinq tubes de produits différents, les ribambelles de colliers et les trois tenues entre lesquelles on en choisira une à porter samedi soir, plus de place pour le pull en laine de mémé, aussi disgracieux qu’utile lorsqu’on se balade dehors par 6°C un jour de grand vent. Je gardais pour moi les réparties sarcastiques qui me brûlaient la langue à chaque fois que l’une s’exclamait « mais ça caille !!! ». Bien observé…

Le soir, repas de groupe à l’auberge, et donc, bordel orchestré par les gars du GES (gruppoerasmussiena.it) Au menu : vin rouge à volonté. (entre autres, mais sachons aller à l’essentiel.) Bien entendu cette situation a donné lieu à toutes sortes de chansons paillardes, coutume décidément internationale : « Ceux qui sont du Portugal, levez vous, levez vous… prenez votre verre ! … buvez buvez buvez etc… » et on finit joyeusement sur un « l’acqua fa male, il vino fa cantare ! ». Bien sûr la France a eu son tour ; sauf qu’entre chaque vers de la chanson, les joyeux trublions inséraient un tonitruant « CAAAAAAMPEONE DEL MOOOONDO ! CAAAAMPEONE DEL MOOOONDO ! » sur un air bien connu. Qu’ils sont taquins. Je rumine ma vengeance prochaine.

En attendant le bus, le Groupe a organisé quelques rounds de « la guerra del vino », dont le principe est évidemment de boire plus vite que les deux autres concurrents. J’ai honteusement perdu face à une belge, mais j’ai tout de même devancé l’espagnole. C’est pas juste, elle était surentraînée.
Les survivants du dîner « open bar vin rouge » sont montés dans les bus direction la discothèque, tandis qu’une poignée de courageux prenaient en charge ceux que l’alcool avait décimés. Le lendemain, les traces de cette nuit épique se lisaient encore sur les visages pâles et cernés.

L’après midi du dimanche fut consacrée à la visite d’Assise. Contrairement à Sienne, dont rues et bâtiments ont parfaitement épousé le terrain et ses caprices, Assise impose ses lignes et ses angles. La ville embrasse la colline dans un ordre classique et rangé. Les arches du monastère sont parallèles et arrivent à la même hauteur, même si pour cela certaines ont les piliers plus longs que d’autres… Là où le terrain ne permet pas l’horizontale, l’architecture la crée. L’intérieur de la Basilique de Saint-François d’Assise était entièrement recouverte de peintures, dans les tons bleu, rouge et or. La saisissante spiritualité du lieu m’a presque convaincue d’allumer un cierge pour mes grands-parents. Mais conservation des peintures oblige, on ne pouvait pas allumer les cierges, seulement les acheter. Je me suis donc abstenue, et Saint-François s’en est vengé d’une manière odieuse. Il a fait grand vent toute l’après midi, mais ce n’est pas le pire. Une fois enfin rentrée à Sienne, je me suis hâtée vivement de rejoindre mon quartier général, animée par la douce pensée d’une douche chaude et d’un plat de pâtes. Bon je me suis tout de même fait arrêter par la vitrine d’un magasin de chaussures. (-70% dernière démarque.) En entrant dans l’appartement, premier choc : température ambiante 12°C. Froid. Ça commence mal, mais ça finit pire…
La cruauté est une notion subjective. Ecraser un insecte qui ne vous a rien fait, c’est méchant. Torturer votre petit frère, ce n’est pas sympa. Rentrer de week-end fourbue et crasseuse dans un appart à 12°C, c’est dur. Se rendre compte qu’il n’y a pas d’eau chaude, ça c’est vraiment cruel. J’ai serré les dents pour ne pas hurler et maudit Saint-François d’Assise pour ne pas penser au froid qui m’engourdissait la tête. Le point positif était qu’après la douche glacée, l’air ambiant de l’appartement me semblait s'être réchauffé.


Que tout le monde se rassure, l’hiver est reparti aussi rapidement qu’il était arrivé, et cette semaine, la douceur de l’automne a repris ses droits. Bien sûr, cet épisode m’a fait oublier toute considération stylistique et je ne me suis jamais décidée à l’achat d’un manteau et trois pull aussi rapidement que ce lundi matin. Le chauffage tourne à présent, et la seule chose qui me chagrine est que la saison de l’apéro touche à sa fin…

Cela dit, c’est la saison des dîners entre amis qui commence, ce qui n’est pas plus mal, vraiment…

À suivre.

C.

La revanche...

Ce vendredi 26 octobre avait lieu à Grossetto l'Erasmus Day, une journée de conférences et de rencontres autour du thème de l'Europe des jeunes, et du programme d'échange Eramsus. A cette occasion, le président du groupe Erasmus de Sienne cherchait des volontaires pour une présentation de cinq minutes de notre expérience erasmus jusqu'à présent. Volontaires, un pas en avant, et me voilà embarquée à préparer (ne laissons rien au hasard) un speech... en italien. Ci dessous le texte le plus long que j'ai jamais écrit en italien. C'est le premier. La grammaire et la syntaxe ont été revues et corrigées, mais le vocabulaire est de moi (sponsorisé par Hachette Français-Italien.)

Pouvoir enfin m’exprimer en italien constitue une première victoire, même si elle vient au prix de nombreux efforts. Peu importe, elle a comme un petit goût de revanche sur ces semaines de silence et de frustration. Aujourd’hui, j’ai pris leurs mots pour exprimer mes sentiments. C’est maintenant que l’échange commence vraiment.

Io sono arrivata alla stazione di Siena sabato primo di settembre alle otto della sera. Per fortuna, avevo conosciuto in Francia una ragazza italiana che studiava a Siena ; quindi, un suo amico è venuto a prendermi alla stazione, e mi ha offerto l’ospitalità, finché trovassi una stanza. Io non parlavo nemmeno una parola d’italiano – non l’avevo mai studiato prima. Subito dopo avere lasciato le valige a casa sua, lui mi ha portato a prendere l’aperitivo – non c’era migliore maniera di iniziare un anno d’Erasmus in Italia ! “aperitivo”, la prima parola che ho imparato ! E poi, lui mi ha presentato a una mezza dozzina dei suoi amici, cui nomi non ho potuto né capire né ricordare. Siamo comunque andati tutti insieme a cenare in un ristorante. La situazione mi è sembrata surreale ; non ho capito assolutamente niente di tutto quello che fu detto a tavola, ma ascoltavo la musica della lingua, provando disperatamente di ricordare alcune parole. Ma che importanza aveva ? Io stavo già vivendo un’altra vità, in un altro mondo. Antipasti, formaggi, primo, secondo, contorno, tutte queste cose erano tutte delle novità per me !
Nei primi giorni in questo mondo, mi stavo meravigliando di tutto. Mi sentivo –e mi sento sempre – come un’avventuriera, pronta ogni mattina ad esplorare questo paese sconosciuto, affascinante, pieno di sorprese...Perché tutto quello che per voi è routine, abitudine, mi sembra sempre stravaganza, novità.

Ma accanta a questa sete per le scoperte, viene un’intensa, intensa frustrazione. Non parlo la vostra lingua, la sto imparando. Provate immaginarvi quello che puo sentire una persona chiusa nel silenzio. Diventavo pazza di avere perso la capacità di esprimermi. Vedevo cose e paesagi che nessuna foto avrebbe potuto catturare, sentivo odori unici, che nessun profumo avrebbe potuto ricostituire, vivevo momenti ed esperienze che nessuna parola poteva descrivere. I sentimenti bollivano dentro, e non potevo esprimerli. Da questa frustrazione sono appena uscita – essendo questo discorso il più lungo che non ho mai fatto in italiano.

Ma questa frustrazione, questa frontera che ci imporre la lingua fa parte del erasmus, ne è un male necessario. Infatti, questa incapacità ad esprimersi, ci obbliga a tacere, e ad ascoltare un po’... Non è per niente facile, ma è necessario... Questi sforzi ci ricordano che le più belle ricompense della vità costano molta perseverenza, e molta pazienza. E la ricompenza dell’Erasmus le supera tutte. Ogni amizie che ho fatto, ogni incontro con uno di voi è favoloso, precioso, ùnico come se fosse un gioiello. E se infatti, ciascuna di queste amizie che ho fatto, se ciascuno di questi incontri che ho fatto fosse veramente un diamante, la mia ricchezza avrebbe già superato quella di Bill Gates. Da cinque volte. Almeno.

Allora per finire, vi vorrei soltanto ringraziare, per la vostra accoglienza oggi in Grossetto, ma sopratutto quest’anno in Italia.

E se dovete ricordare soltanto tre parole per descrivere l’Erasmus, vi consiglierei queste :

Scoperta – Incontro – Ricchezza.
C.

Coup de Blues ? ...

Dimanche, 28 octobre 2007.
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Baudelaire l’appelait le Spleen. Moi, je préfère le Blues, parce que ce mot rappelle la mélancolie de cette musique, teintée tout de même d’un soupçon de félicité. Je suis heureuse. Heureuse au-delà de mes rêves les plus fous car il ne me manque rien. Quand je rêve, je ne pense pas au passé, à ces moments merveilleux, à ces bonheurs intenses. Je ne rêve pas du futur, pas aux jours meilleurs, non, car je ne sais pas imaginer de « meilleurs » lendemains. Je rêve du présent. Le présent en son sens de tout-juste passé, sur le point d’arriver. Quand je rêve, je rêve de la journée qui vient de se terminer, je rêve au jour qui m’attend demain. Je ne cherche pas refuge dans mes souvenirs, je ne cherche pas à m’enfuir dans une vie future, inventée de toutes pièces.

Je suis heureuse car il ne me manque rien. Et pourtant, j’ai le blues. C’est étrange, cette sensation. Imaginer le bonheur avec un arrière goût…amer. Ah ! Sans doute pour cela qu’on l’appelle… Amertume…Mais tout de même…Si je n’ai pas de regrets, si je n’ai rien à envier, d’où me vient ce vide dans le cœur ? D’aucuns me diraient certainement que ce vide que je ressens n’est autre que la solitude, l’éloignement. Mais au fond de moi je sais bien que la solitude est une invention de l’esprit, une lamentation vaine, car personne n’est jamais seul. Il y a toujours une présence humaine dans notre environnement immédiat, une serveuse, un inconnu, une âme, un cœur et une oreille. Il y a toujours un téléphone portable en réseau avec des millions d’autres. Il y a toujours Internet, qui nous connecte à des milliards d’individus. Et celui qui prétend être enfermé dans la solitude oublie qu’il est un appareil qu’on ne peut ni éteindre ni débrancher – le cerveau. Qui prétend s’enfermer dans ses pensées rejoint le plus grand réseau de l’univers. Il y a toujours, à chaque instant, une pensée que vous destinez à un autre, et une pensée qui vous est destinée. Toujours.

Non je ne me sens pas « seule ». Mais alors pourquoi ? Le bonheur serait-il dans sa quête et non dans son obtention ? Seul importerait le voyage et ses nombreuses épreuves, non la destination ? Serait-ce par essence une sensation éphémère qu’on ne peut capturer ?

Au fond de moi, peut être, je connais la solution. Le bonheur réchauffe le cœur et l’âme comme un carré de chocolat qu’on laisse fondre entre la langue et le palais…Mais qui en abuse s’expose à la crise de foie. Il en va de même avec le bonheur. Comme des meilleures choses, il ne faut en profiter qu’avec une gourmandise modérée. Sinon, il prend un goût…amer.

Une overdose de bonheur…Tiens donc ! Cette simple idée me redessine un sourire…

C.

La catharsis.

Dimanche 2 septembre 2007, 23h. Deuxième nuit à Sienne…
À moi-même.


Je vis dans un rêve. Tout est musique, couleurs, mélodies, harmonie. J’ai remonté le temps, et je suis coincée entre les siècles. Un décor médiéval, une chaleur estivale, une ambiance jeune & electro.
Le plus difficile ? Lutter pour extraire les mots qu’on sait présents, on les connaît, leur sens, leur usage, il y a bien longtemps qu’on les a domptés. Et pourtant, ils résistent, et la lutte est vaine. Il faut se résigner à sourire, secouer la tête, lever les yeux au ciel, tout pour communiquer, à tout prix. On peut communiquer sans mots. C’est possible. Mais les mots ne servent pas qu’à communiquer. Ils servent à exprimer les sensations, les sentiments, les états d’âme. On peut exprimer ses sentiments sans mots, dans une certaine mesure. Mais que faire quand les yeux ne savent plus où regarder, que les oreilles brûlent d’entendre ces sons inconnus, que la tête déborde déjà d’images et de souvenirs, d’empreintes de ce nouveau lieu ? Il faut des mots. Même les mots ne suffisent pas, et lorsqu’on les a épuisés, que le silence revient, alors arrive le soulagement. Mais sans mots, pas d’exutoire. J’explose de sensations. J’ai le sentiment d’avoir perdu la parole, et que si on me la redonnait, je pourrais parler des heures, jusqu’à m’assécher la langue. Au lieu de ça, je noircis des pages, à la douceur de la nuit, sous les étoiles, avec pour seule lumière celle qui vient de la rue, et se réfléchit sur ces murs dix fois centenaires. Et pour seul bruit, la musique de cette langue qui m’exaspère et me nargue et qu’il me faut dompter, puis apprivoiser. C’est incroyable la facilité avec laquelle les mots me viennent alors que ma plume glisse sur ce papier. C’est signe de l’intensité de la frustration que génère la rétention de mes émotions dans cette prison de silence. C’est avec une rage vengeresse que j’exhibe des perles de langue française entre ces lignes que personne ne lira. Peu m’importe, j’ai seulement besoin de l’exprimer.

Voilà près d’une minute entière que je suis restée le stylo en l’air ; ma rage d’écrire a pris fin, l’exercice a rempli sa fonction cathartique. La ferveur pratiquement colérique qui tendait les muscles de mon poignet il y a encore quelques instants de cela a laissé place au soulagement. Exorcisé, mon corps est libéré de ses tensions. Je peux sentir ma respiration s’apaiser, les muscles de mes joues se détendrent, et presque aussitôt, redessiner un sourire, cette fois-ci empreint de sérénité. Ma tête sur le point d’exploser quelques minutes auparavant semble soudainement incroyablement vide, et le poids qu’elle exerçait sur mes épaules a disparu.

C’est fait. Je suis calme. Sereine. Et faire le vide m’a permis d’identifier le sentiment qui m’étouffait de son abondance, de son omniprésence.

Du bonheur pur.

C.