dimanche 9 décembre 2007

Le baiser de la Place Saint Marc


Jeudi 29 novembre, 19h20. Le train s’arrête en gare de Venezia-Mestre. Malgré un changement chaotique qui a bien failli avoir raison de notre petite escapade touristique, nous avons survécu au voyage. Il ne nous reste plus qu’à trouver un moyen de rapatriement vers la gare de Venezia Santa Lucia, et nous aurons atteint notre but.
20h15, nous sortons de la gare, mais restons immobiles sur les marches, inconscientes du fait que nos jambes se sont figées sur le marbre. Devant nous, un canal qu’un pont enjambe gracieusement, le dôme d’une basilique, et au dessus, les étoiles.

Je suis à Venise.

C’était la folie du week end. Ma colocataire finlandaise Tiina et moi avions été invitées à rejoindre sa compatriote Hanna, laquelle effectue son année d’Erasmus à Venise. Oui, aller faire l’Erasmus à Venise, « c’est pas la demi classe », si je peux me permettre d’emprunter l’expression.
Nous voilà donc sur le parvis de la gare Santa Lucia, nos sacs sur le dos, la voix momentanément absente, coincée quelque part au fond de la gorge, les yeux rivés sur la beauté irréelle de ce tableau. Mes souvenirs sont un peu flous… Nous avons déambulé au hasard, à la recherche d’un restaurant abordable (rires !), emprunté un nombre infini de ponts, longé les canaux, le nez en l’air, les yeux grands ouverts, avec cette volonté enivrante de tout voir et de ne rien oublier. Partout, le décor enchanteur de ces façades ancestrales, la douce musique de l’eau, l’odeur salée de la mer, la tendre lumière des étoiles. Les rues sont très peu éclairées, quand la nuit tombe sur Venise, elle l’étouffe de son épaisse obscurité, jusqu’au lever du jour.

Tiraillée entre la faim qui gronde et l’indécence remarquable des prix pratiqués ici-bas, nous avons finalement cédé en faveur d’un petit restaurant en bord de canal. Il était désert, si ce n’était pour une tablée d’italiens et un couple visiblement étranger. Une fois nos estomacs soulagés, la réalisation nous a frappée d’un coup : nous sommes à Venise, Italie. Tout le monde connaît la fameuse ville construite sur l’eau, la ville la plus romantique du monde, la capitale des amoureux. Tout le monde en a vu des photos, des films, des tableaux… Entendu les musiques qui la rappellent, les histoires qu’elle a inspirées, les mystères qu’elle continuent de garder… Nous dégustons dans le silence absolu ce qui promet de rester le meilleur tiramisu qu’il m’ait été donné de goûter, tandis que je laisse s’imprimer en moi cette idée complètement loufoque… Je suis à Venise… Décembre 2007… Quelle folie !

Le lendemain, le réveil est difficile. Hanna habite à Mestre, or il y a une grève des bus et train ce vendredi, aussi, si nous ratons les bus, nous serons coincées à Mestre toute la journée. Oui, il y aura bel et bien quelques bus malgré la grève : elle commence à 9h30, pause à 16h30 et reprend à 19h30. De cette façon, ces braves gens peuvent manifester autant que bon leur semble, et les non moins braves gens qui ont absolument besoin des transports en commun peuvent néanmoins être acheminés sur leur lieu de travail, dans le respect des contraintes horaires ci-dessus citées.
9h30, nous descendons Piazzale Roma, un plan de la ville entre les mains. Pour une raison fort étrange que je vins à comprendre rapidement, certaines rues figuraient en bleu sur la carte, et s’appelaient « Canale-quelque chose » - sans doute un synonyme de rue, boulevard, avenue… Allez savoir.

Et nous suivons le guide sur les berges du Canal Grande, puis au cœur de la cité. Nous nous laissons surprendre par les caprices de ces rues qui aiment à finir en impasses. Je disais qu’à Sienne les rues sont étroites ? Je retire. A Venise, certaines n’en laissent pas passer deux de front. Claustrophobes s’abstenir.
Hanna n’était pas un guide très enthousiaste. Elle n’aime pas Venise. Cette position peu orthodoxe m’avait de prime abord laissée dubitative. Peut-on ne pas aimer Venise ? Cette seule pensée ne serait-elle pas une hérésie de la pire espèce ? Qu’on la pende haut et court etc ? Cependant, au fil de la visite, j’ai été amenée bien malgré moi à comprendre son sentiment. Sans en aller jusqu’à son extrême, je partage son impression négative. Car ce qui rend Sienne belle et unique, c’est son authenticité, mais surtout ses habitants. Les locaux font vivre la ville et ses traditions ancestrales, les Contrade retranchées résistant encore et toujours à l’envahisseur-touriste. Venise s’est complètement vendue. Elle fausse, artificielle. Il n’y a plus de population « locale ». Les façades délavées par le temps, les peintures écaillées, les murs effrités sont le décor de cette ville fantôme à l’abandon. Mais ce qui rendait leur vie aux ruines de San Giminiano, c’était le linge qui séchait aux fenêtres, c’étaient les vieilles avec leur cabas, c’étaient les chats qui dorment sur les parvis. Venise n’est plus une ville, c’est un gigantesque parc d’attraction pour touristes aisés. Le romantisme et le mystère ne sont plus que des produits marketing de cette foire internationale. On vous parle toutes les langues, mais la seule qu’ils comprennent, c’est la visa internationale. Vous descendez du bus, vous sortez de la gare, vous vous heurtez immédiatement au péage d’entrée : le guichet de vente de billets pour les transports en commun. La voiture ne vous servirait en effet qu’à bien peu de choses dans la ville aux canaux. Si le bus terrestre Venezia/Mestre est abordable, le Vaporetto l’est moins. 6€ le trajet unique contre 1€ pour le bus. Si à Rome on craint les pickpockets, à Venise, rassurez-vous, aucun risque ! Le racket est organisé légalement via le service public de transport intra-urbain. On ne badine pas avec la sécurité des touristes ! Les dépouiller, oui, mais au nom de la loi !

La promenade le long de la rue principale accentue la désagréable impression d’être dans une succursale de Disney World ; hotel, restaurant, magasin de souvenirs kitsch, magasin de masques, hotel, restaurant, etc… Chaque magasin de masques présente la même marchandise, les mêmes design, les mêmes prix (+ 1 à 2€ quand on se rapproche de la Place St Marc). Au bout de cinquante mètres, on a déjà tout vu. Sur chaque pont qu’on traverse, un homme en chemise rayée et canotier vous interpelle « Gondola Gondola ! ». A 120€ la balade d’une heure, l’attraction « Gondole » est un peu chère au kilo. Mais les touristes payent, parce que c’est Venise, on y est enfin, pour la première fois et sans doute la seule, alors il faut en profiter. Ils en demanderaient 150 ou 200€ qu’ils trouveraient encore acheteurs.
Sur la place Saint Marc, ce sont les pigeons qui font figure d’attraction principale. Pour un euro, vous pouvez acheter une portion de graines auprès d’un des vendeurs et vous faire prendre en photo en plein remake des Oiseaux. Ils sont des centaines à grouiller sur la place, telle la vermine qu’ils sont. Ils puent les égouts, et ont renoncé à voler, ce qui faisait pourtant leur unique différence d’avec les rats. Une véritable infection. Et dire qu’on aurait pu penser qu’une Peste Noire et des millions de morts vous aurait appris à traiter la vermine avec la tolérance qu’elle mérite : aucune. J’ai d’abord été surprise par le comportement de ces animaux censés craindre la présence humaine, surtout quand elle court vers eux en braillant (testé). Mais il est vrai que le pigeon ne craint pas ses propres congénères, et le touriste à Venise est un bel énergumène de pigeon, vu ce qu’il y dépense…

Le samedi matin, nous avons cédé au chantage financier du guichetier, et nous sommes partis pour l’île de Murano en Vaporetto. Soleil d’acier, ciel bleu, mer calme et soyeuse, que vous dire ? Je souriais sans le vouloir. La paix du voyage fut interrompue dès le débarquement. Au Maroc ou en Tunisie, les vendeurs de tapis entraînent les touristes naïfs vers leurs ateliers, à Murano ce sont les artisans du verre qui pratiquent cette technique. Hanna nous ayant assuré que la démonstration était absolument gratuite et qu’on ne nous garderait pas comme ouvrier-esclave si nous n’achetons rien, nous avons suivi le brave homme et assisté en direct à la confection d’un magnifique cheval de cristal. La visite de la ville fut brève, les trois uniques rues étant essentiellement constituées de restaurants et de boutiques de vente d’objets en verre –visite que nous avons rapidement surnommé « THE MURANO HORROR SHOW. » Les artisans de l’île ne se laissent arrêter ni par la laideur, ni par le kitsch, encore moins par le ridicule. Je n’avais jamais vu une telle abondance de créations combinant ces trois caractéristiques. Proposées qui plus est à des prix dont l’indécence fait sourire. La palme d’or fut décernée à un calamar géant exposé en vitrine : soixante-dix centimètres de cristal blanc laiteux et violet poussiéreux, d’un ton relativement horrible à lui tout seul. Edifiant. Il est normalement interdit de prendre tout ce zoo en photo, mais nous avons fait une exception pour cette réalisation d’une rare laideur.

Etant donné que nous avions payé douze heures de Vaporetto, je refusais catégoriquement d’en perdre une minute. Et la balade sur le Canal Grande valait le détour. C’était le premier décembre, l’air était froid, le soleil descendait, enflammant quelques nuages qui passaient par là. Le ciel s’assombrissait, et je m’enivrais de l’odeur de la mer, et de la beauté du décor. Mais il manquait, il manquait de la vie à ces murs, des lumières à ces fenêtres. On pouvait voir à certains palais, les rideaux déchirés, on pouvait presque sentir la poussière et le moisi, l’abandon. J’ai vu un couple de mariés poser sur un balcon, et je me suis souvenue de cette même image à San Giminiano, de ce même tableau à Rome. Ces mariages-là étaient colorés, vivants. Celui-ci ne m’inspirait pas. Si Rome est impériale, Paris une grande dame, Venise est une vieille fille en robe du soir, d’un rouge vulgaire et aguicheur. Elle est une de celles qui ne savent pas que pour séduire il vaut mieux suggérer que révéler. Elle se croit belle et importante parce qu’elle est célèbre et adulée, mais qui s’approche un peu trop près décèle les rides sous le fond de teint mal étalé. Oui, elle est belle sous les feux des projecteurs, sur le papier glacé des photos, sur la pellicule des chefs d’œuvre du cinéma, mais en vrai, en face de moi, derrière son image, elle déçoit. Et pourtant, c’est lorsqu’elle est la plus humble qu’elle est la plus belle… Devant le Palais des doges, lorsque que le soleil se couche sur la basilique de Santa Maria della Salute, sous la brume du soir, Venise est belle...

Tout ce week end ne fut qu’une succession de batailles, un déchirement de l’âme entre la beauté saisissante de cet endroit unique et la pollution commerciale générée par cette poule aux œufs d’or. Je ne résiste pas à l’envie de vous raconter cette anecdote, celle qui me restera en souvenir de ces trois jours, celle qui illustre à merveille la controverse de la poésie et du business.

Piazza San Marco, 16h30. Le soleil se couche, embrasant le ciel au dessus de la parfaite symétrie de la façade du palais. Les quelques rayons rasants se réfléchissent sur les dorures du Dôme. Sous les arches, les décorations de Noël illuminent doucement le chemin des flâneurs. Nous sommes assises sur les marches (ce qui est rigoureusement interdit et passable d’une amende) à contempler la scène, et le spectacle affligeant des pigeons en surpoids gavés par les touristes. Un couple attire mon attention. La jeune femme a de longs cheveux noirs et lisses. Ils sont plongés dans une embrassade passionnée au milieu de la place. Il la tient légèrement penchée en arrière, une main sur la courbe des reins, l’autre dans ses cheveux. Ni les passants, ni les pigeons, rien ne semble pouvoir interférer avec la magie de leur moment. Ils sont seuls dans leur univers, et continuent de s’embrasser férocement au milieu de tous, ignorants, égoïstes, vivants. Et le baiser dure, dure, dure de longues minutes, tandis que le soleil continue de descendre, sa lumière rouge baignant encore la place… Et le baiser dure, dure, dure… J’entends derrière moi les violons de la musique d’ambiance du café Florent, et je commence à sourire intérieurement… C’est tellement « Venise », cette scène… et c’est tellement beau de simplicité.
Tandis que leur baiser dure, dure, et dure encore, sans vouloir s’arrêter , j’aperçois un vendeur de roses ambulant à l’arrière plan de mon tableau. Il aborde une dame, en arrête deux qui passaient, sans succès. Il s’approche dangereusement de mon couple, eux toujours plongés dans leur baiser sans fin. Le vendeur s’arrête à leur hauteur, et je pense… non ! Il ne va quand même pas faire ça ! Eh bien si. L’homme leur agite une rose sous le nez, forçant mes amoureux à interrompre leur baiser. Ils s’éloignent tous les deux, main dans la main, tandis que le vendeur téméraire les poursuit encore sur quelques mètres. Et moi, je n’en crois pas mes yeux.

Et pourtant, et pourtant cette anecdote résume à merveille mon sentiment sur Venise. Elle est belle, magnifique, romantique, mystérieuse, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais ce tableau enchanteur est sans arrêt interrompu, de façon ridicule, effrontée, éhontée, par cette pollution mercantile.

Qu’un vendeur de roses interrompe le baiser de deux amoureux à Venise au coucher du soleil… Quelle ironie !
Je suis repartie dimanche à la tombée du soir, ivre de souvenirs. Venise... Elle n'est pas si célèbre pour rien.
C.



lundi 3 décembre 2007

La semaine de tous les excès...

Après l’effort, le réconfort, ce premier examen en italien a donc servi de prétexte et marqué le coup d’envoi d’un « semaine de tous les excès » dans les règles de l’art. Ce concept très personnel mérite une présentation rapide ; la vie étudiante requiert une certaine discipline (bien qu’à degrés variables selon les individus) – il y a des contraintes, c’est un fait. Et pour l’individu lambda, un peu fainéant, un peu têtu (remplacer « un peu » par « très » pour un descriptif de la situation applicable à mon cas), se plier aux nombreuses contraintes de la vie quotidienne serait encore possible s’il ne fallait pas mobiliser la même énergie pour résister aux tentations faciles ; paresse, gourmandise, etc… Et comme le disait très justement Oscar Wilde, « le seul moyen de se délivrer de la tentation c’est d’y céder » ; il me fallait un moyen efficace pour équilibrer contraintes et détente. Ce fût chose faite grâce à l’invention de la « semaine de tous les excès », dont le principe est fort simple : aucune contrainte n’est admise. L’Envie est seule apte à dicter les programmes, les menus, les activités. AUCUNE contrainte. Il est par exemple interdit de faire sonner un réveil ; on peut laisser le téléphone éteint et NE PAS relever ses mails. L’urgence est remise à plus tard. Il est interdit de faire des « to do-list ». Et cela pour une durée indéterminée, allant de vingt-quatre heures à une semaine. Il n’est guère possible de vivre ainsi plus longtemps, les contraintes ont la sale manie de vous rattraper d’une façon ou d’une autre, ces fâcheuses. Qu’importe, l’espace de quelques jours, on peut savourer la douceur de la paresse, défier l’ordre établi, jusqu’aux aiguilles de l’horloge, que je gratifie de ma plus profonde indifférence ces jours-ci : il est l’heure de n’en faire qu’à ma tête, « et pis c’est tout ». Et le tout sans l’ombre d’un soupçon de culpabilité : on ne s’autorise une « semaine de tous les excès » qu’en récompense pour un travail achevé, ou en dernier recours en cas de surchauffe nerveuse et cérébrale, avant pétage de plombs total. (formule bien plus souvent optée que la première, malheureusement.)

Je me suis donc laissée aller depuis mardi soir au far niente le plus complet, et j'ai enchaîné soirée sur soirée. Mercredi, la traditionnelle « Erasmus » au Barone Rosso. Jeudi soir, on a testé « le Joker », la discothèque privilégiée des étudiants en droit, ils y ont leur soirée chaque semaine, la « Giovediamoci ». J’ai VRAIMENT du mal avec la musique italienne… ça manque cruellement de rock. Ça ne se danse pas. J’ai profité de cette semaine de soirées intensives pour résoudre une incompréhension fondamentale qui régnait entre les italiens et moi. En France, je danse le rock, au club ISEN de Lille. Étant complètement fanatique et pas timide pour deux sous, je n’hésite pas à inviter ces messieurs dès que résonnent les premières notes d’un rock ‘n roll digne de ce nom. En règle générale, il est même possible d’enchaîner plusieurs danses avec le même cavalier sans que naisse le moindre malentendu. Par ailleurs, la rareté des danseurs m’a obligée à développer un instinct de chasseur hors du commun : à proximité d’un dancefloor, j’observe, à l’affût de celui qui se trahira en enchaînant devant mes yeux quelques passes connues ; à la seconde où il lâche sa cavalière, j’interviens. « -salut ! tu danses ? ». Rapide et indolore.

En Italie, j’ai dû me rendre à une douloureuse évidence : le rock n’est pas tendance. (Pauvres fous !) Par ailleurs, inviter un inconnu à danser ne se traduit pas de la même façon en italien… Sachant qu’en italien, croiser un regard veut dire « tu me plais », je vous laisse imaginer comment un « salut ! tu danses ? » peut bien être interprété… J’ai voulu vérifier ma théorie auprès d’amis italiens ; j’ai abordé le sujet à la cantine, regrettant leur incapacité à mener un rock. « en France j’ai l’habitude de faire le tour de la boîte et de danser avec une douzaine de personnes différentes ! ». Leur réaction à cette révélation fut sans équivoque : ils m’ont dévisagée, yeux écarquillées autant que faire se peut, avant d’éclater de rire. Comme à chaque fois que le choc culturel me rattrape, je m’en remets à Francesca, mon guide, mon mentor, mon ange gardien. « Oui alors en Italie, si tu invites un mec à danser c’est que tu es très très intéressée par lui !!! ». J’en étais déjà arrivée à cette conclusion. Bande de nazes. Quelle manque de classe, vraiment !

Donc on ne danse pas. Et on ne boit pas non plus ! Si notre statut « Erasmus » nous permet d’entrer gratuitement à certaines soirées (et fort heureusement d’ailleurs !) il ne nous procure guère de réductions sur les consommations. En général, quand on me demande si je veux boire quelque chose, j’interroge mes poches, lesquelles me répondent souvent « nope ! Pas ce soir. » Même le Cambio, pourtant réputé être un bar « de gauche » pratique des tarifs de droite (décomplexée.) C’est un scandale. Qu’on me rende une soirée BDE-BDS – bière à 2€ !

Mais il en faut plus pour nous empêcher de fêter dignement ce premier examen (notez la résurgence du prétexte !) Francesca avait effectivement passé cette épreuve en même temps que moi ; c’était son dernier examen, qu’elle a mis derrière elle en récoltant « trenta », soit la note maximale – un exploit à l’examen de droit administratif, elle fut d’ailleurs la seule à obtenir une telle note lors de cette session. Nous avons donc célébré l’événement autour d’un dîner à l’italienne, a casa mia. Pizza, focace, plateau de charcuterie incluant différentes sortes de prosciutto, formaggio, etc… Le tout avec un Prosecco en apéritif, et vin rouge pour accompagner le repas. Que dire de ces heures de détente, de vacances, de ces moments d’une simplicité dérisoire, mais d’une valeur inestimable ? C’est ce que j’aime en Italie. Au milieu du stress des épreuves, au beau milieu du froid de l’hiver, les vacances vous rattrapent. Que ce soit pour quelques minutes, un instant ou quelques heures, la chaleur des rires et la couleur du vin vous arrachent au quotidien. La félicité le temps d’un repas entre filles, des conversations légères, dont le seul intérêt est de vous emmener loin du reste. Sérénité est le maître mot de cette vie « sans soucis ».

Je termine cette lettre en toute hâte. Une semaine s’est écoulée depuis « la reprise », et quelle semaine… Je reviens de trois jours à Venise, la tête bouillante de souvenir, qu’il me tarde de partager.

À bientôt

C.









jeudi 22 novembre 2007

La carotte et le bâton

Je fais partie de ce gens qui angoissent à la veille de leurs examens. Il n’y a pas de peur plus irrationnelle que celle-ci, et j’ai peur de la sonnerie du téléphone, c’est dire si je m’y connais en peurs irrationnelles. Angoisser la veille d’un examen est l’exemple même de l’inutile contre-productif. Il est trop tard pour avoir des regrets, (fallait bosser avant « et pis c’est tout » comme dirait guignol-philippe Lucas) et il est inutile de s’inquiéter si on a suffisamment travaillé. Quoique, ce réconfort-ci est un leurre lorsqu’on s’apprête à subir un examen dans le système français. « Subir » est bien le mot approprié, si l’on considère le nombre de paramètres hors de contrôle qui influent sur le résultat final :


1) la chance : LE bon sujet, par opposition au sujet qui cerne le c) du 2) du IV) du chapitre III), duquel on ne garde qu’un souvenir fort vague.
2) la chance encore : LA bonne journée, parce que qu’on le veuille ou non, il y a bien des jours avec et des jours sans…
3) la chance toujours : être bien placé dans le tas de copies à corriger. Compter avec l’humeur et la patience du correcteur.


Entrent seulement ensuite en compte à leur juste valeur les efforts fournis. Ils payent, parfois. Bon, mais relativisons, avec ou sans l’aide de la providence, dépasser le 14 relève généralement plus de l’exploit que de la norme. C’est comme ça.

En Italie, les choses se passent différemment. Les examens sont oraux, ce qui ne les rend absolument pas plus faciles, loin de là, mais ce qui permet au professeur de tester effectivement le niveau de connaissance de l’étudiant. On commence par quelques questions « de cours », bateau, histoire de d’éliminer tout de suite ceux qui n’ont ouvert le livre que la veille au soir. Puis on enchaîne avec des questions appelant à plus de réflexion, des questions un peu plus « science po », si j’ose dire.


Mais je vais trop vite en besogne, je vous livre mon analyse avant de vous avoir livré mes impressions.

Tout d’abord, la panique : convocation, papier d’identité officiel avec photo récente, stylo qui marche, montre à l’heure, toutes ces choses ne sont ni requises ni utiles. L’appel était décidé pour le 20 novembre à 16h. J’avais évidemment demandé à Francesca au moins un demi millions de fois « mais t’es SURE que je dois m’inscrire nulle part, prévenir quelqu’un que je veux faire cet exam ? - Non, non, il n’y a rien à faire, fais moi confiance ! ». Effectivement, la procédure se résume à bien peu de choses : à moins dix, je me pointe à la fac, décontractée (toujours jouer sur les apparences à l’oral, ne jamais laisser transparaître sa peur, l’examinateur, tel le fauve à l’affût, sent l’angoisse des faibles et attaque d’autant plus impitoyablement.) Je m’adresse à l’accueil, on me remet une feuille type « Je soussignée – déclare passer l’examen de – ce jour – signature. » Puis je me dirige vers la salle indiquée. On prend place à l’intérieur ; le professeur et deux de ses assistants arrivent une demi-heure plus tard (les italiens et la ponctualité s’ignorent réciproquement). Ils se partagent le tas de feuilles-types laissées à l’accueil et appellent les étudiants un à un. Certains sont évacués en dix minutes chrono, soit qu’ils aient été brillants et qu’il soit inutile de les retenir plus longtemps, soit qu’ils n’aient manifestement pas assez étudié, auquel cas, l’examen se termine tout aussi promptement. Ceux interrogés par les assistants sont tout de même obligés de passer devant le professeur, lequel leur demande si la note leur convient. Je suppose qu’en cas de réponse négative, le professeur testera lui-même l’étudiant avant de décider de modifier ou non la note. Dans tous les cas, qui est insatisfait de sa note PEUT la refuser et repasser l’examen au prochain « appel » (plus ou moins tous les deux mois). Ce système permet par exemple de ne pas avoir à se bourrer le crâne de huit cours magistraux différents en même temps, mais d’étaler au contraire la masse de travail. Les deuxième-années à scpo lille connaissent bien l’effet néfaste que produit l’enchaînement de huit partiels de trois heures sur quatre jours. C’est violent, et c’est rien de le dire.

Autre différence notoire avec le système français, et non des moindres, ici, on reçoit des bonnes notes. C’est fou, ça me rappelle l’école primaire, quand la maîtresse donnait des bons points quand on travaillait bien. Mais la véracité du « si je travaille bien, j’ai de bonnes notes » s’estompe parfois même dès les années-lycée. A quoi bon ? Je me sens dans ce système comme un âne qu’on espère faire avancer en lui balançant une carotte devant le nez. Seulement je ne suis pas un âne, je vois très bien que je pourrais bien encore marcher jusqu’à épuisement que je n’atteindrais pas la carotte. Donc on arrête très vite de travailler « pour les notes », on travaille « pour soi » ou « pour son avenir » ; mais dès qu’un classement quelconque intervient ou qu’un diplôme est délivré, on s’en réfère…aux notes. Quelqu’un d’autre relève un paradoxe ici ?

Celui qui s’amène à l’examen les mains dans les poches en Italie se fait recaler. Good bye, try again la prochaine fois, et travaille avant ça marche mieux. Il n’y a pas de « rattrapage », de nombre de chances ou de temps limité : le but du jeu est de comprendre et d’apprendre chaque cours, chacun a son rythme et selon ses capacités. Ceux qui travaillent bien et approfondissent le cours sont récompensés de la note maximale (30), voire accompagnée des félicitations (Trenta e lode). Pour les plus masochistes il est possible de repasser l’examen autant de fois que nécessaire pour décrocher la note maximale, histoire d’avoir un diplôme sans tâches, sans « accidents ».

Je suis dubitative. Bon, en rangeant ma mauvaise foi cinq minutes au placard, je note que la diversité des deux systèmes repose sur une différence de conception de la fonction fondamentale de l’examen : Le système italien récompense les étudiants studieux. Les autres reçoivent pour toute sanction une invitation à réitérer leurs efforts, à charge pour eux de décider s’ils veulent se diplômer à 24 ou à 28 ans révolus… Le système français part du présupposé que les étudiants sont studieux. C’est ce qui caractérise leur statut d’étudiant. Aussi, les étudiants studieux ne sont pas récompensés ; ils échappent à la sanction. C’est là la différence fondamentale. Ici, l’examen récompense les efforts fournis, chez nous il sanctionne. Mais que sanctionne-t-il au juste ? Que teste-on quand on enferme 300 étudiants dans un amphi, le même jour à la même heure sur UN sujet (parfois deux, grâce au seigneur magnanime) ? La quantité de notions de cours débitées au paragraphe carré ? Le débit d’écriture ? L’endurance physique et intellectuelle au quatrième jour d’épreuves consécutif ?

Cette différence de conception de la fonction de l’examen conditionne la préparation : pour éviter d’échouer, il vaut mieux parier sur le cours, tout le cours, et rien que le cours, surtout quand on en prépare huit à la fois. Qui prend le luxe d’en approfondir un ou deux prend aussi le risque d’en rater un autre. Et comme il suffit d’un point pour faire la différence entre une première et une deuxième session (et donc une centaine de places au classement), c’est un pari risqué. L’audace paye mal.
Quand on a le choix de la date, on peut adapter sa préparation à son ambition. Passer deux examens, avec des bibliothèques ouvertes en soirée (23h, contre 18h30 à Lille2…) laisse le choix d’approfondir, et également les moyens pour ce faire. Et si on n’est pas prêt, on n’est pas en forme, on le sent pas et on se ramasse, on prend les mêmes et on recommence le mois prochain, sans conséquences. Et on retrouve la fonction « pédagogique » du contrôle version collège/lycée, destiné à identifier les erreurs et les lacunes, afin d’y remédier.



J’en reviens à ce mardi 20 novembre, 16 heures, à cette salle de cours ordinaire, et ces trois examinateurs devant lesquels les étudiants se succèdent. Je crois que je n’avais jamais été aussi anxieuse avant un examen, et qu’aucun examen n’avait jamais eu moins d’importance que celui-ci : j’y allais « pour du beurre » puisque je testais seulement la moitié du programme, et que de toute manière je revenais en janvier pour passer le programme complet. J’ai été appelée presque immédiatement par l’assistante, mais le professeur, m’ayant reconnue, est intervenu pour s’occuper de mon cas. Il m’a fallu attendre deux heures que tous soient passés, pour qu’il m’appelle finalement à mon tour. L’oral à la française façon « scpo » n’est pas un examen, c’est un duel sanguinaire dont l’unique but est de survivre aux tirs en rafales. L’examinateur vous pose une question, ne pas répondre ! c’est un piège. Il faut dégager une problématique, et y répondre en deux parties deux sous parties. (Sauf qu’on n’est pas obligé de souligner les titres à l’oral.) Forcément, par habitude, j’étais sur la défensive, et je me suis pris quelques « mais vous ne répondez pas à la question ! » (bien sûr que non, c’est un piège, je suis une dinde mais quand même…)
Plaisanteries mises à part, je m’en suis bien sortie, à en croire les compliments du professeur. Ce n’est pas un ami dont le rôle est de vous rassurer (mais si tu parles très bien !), non, lui, c’est un juge impartial et objectif. Ces compliments-ci sont d’une espèce rare. Il parait que j’ai tout bien compris tous les concepts et les problématiques, et que j’arrive à me faire comprendre selon ses termes. J’ai surtout retenu la résurgence de l’intense frustration des premières semaines. En révisant mon langage technico-juridique, j’ai omis d’enrichir mon vocabulaire de mots de liaisons, ou de verbes communs. J’aurais peut être dû ouvrir mon bled de conjugaison à la page du subjonctif, histoire de ne pas écorcher l’oreille de mon interlocuteur à chaque fois que je me lançais dans une subordonnée relative. La barrière de la langue, encore et toujours, qui crée ce décalage enrageant entre une pensée structurée et une expression verbale infantile. « Alors l’état doit faire les services publics parce que dit la constitution. Et il y a la garantie de légalité, donc l’administration doit faire les services publics mais respecter la loi. Et il y a la libre initiative économique. » etc… Je suppose que ça doit être assez déroutant d’écouter une gamine de huit ans disserter sur la théorie du service public.

Aussi pour la prochaine session, j’ai décidé de moins réviser mes concepts que mes mots de liaison. Le professeur attend de me faire passer la deuxième moitié de l’examen avant de m’attribuer une note définitive, mais il me valide cette première moitié « entre 27 et 30. » Je sens bien une pointe de compassion pour la petite Erasmus visiblement intéressée par la matière, et on va dire que je lui en suis reconnaissante.

Ça change de la froide indifférence de la prof de droit pénal romain, dont le débit de parole et la force de l’accent « hoha-hola » ne faiblissent pas.

À bientôt

C.

samedi 17 novembre 2007

Considérations sur les habitudes

Mercredi 14 novembre 2007.

En période d’examen, il convient d’être raisonnable, et de cesser toute activité nocturne afin de récupérer un cycle de sommeil stable et réparateur.

En théorie.

En pratique, il est très difficile de revenir sur ses habitudes, tout autant qu’il est difficile d’en prendre des bonnes.

Je n’ai jamais aimé le matin. La sonnerie du réveil est une violence insupportable qui me cause un stress démesuré. Le fait de se réveiller contre son gré est déjà une violence en soi. Les premières actions ne sont alors qu’une série d’agressions : le froid de la chambre dès qu’on sort du lit, le froid de l’eau, les voix stridentes des publicités à la radio, le buzz du gaz ou du micro-onde, le son clair de la cuillère dans la tasse, le grille-pain qui éjecte ses toast. Il est difficile de trouver un moment de paix le matin. Heureusement, les italiens ont le remède à ces inconvénients. Le café. Le café fait désormais partie intégrante de mes habitudes ; je ne sais pas comment j’ai pu faire pour vivre sans jusqu’à présent, et je n’imagine certainement plus m’en passer. Laissez-moi traduire la réalité décrite par ce mot bien connu. L’Espresso italien n’a rien à voir avec l’Expresso français. Un café, ce sont deux gorgées d’un brevage noir au goût amer puissant. Deux gorgées d’une véritable potion magique à réveiller un mort. Deux gorgées de calme, idéales pour commencer une journée, clore un repas ou relancer une soirée. Deux gorgées seulement pour reconcentrer pleinement votre attention entre deux heures de cours, ce même contre votre gré (et malgré un lendemain de soirée…disons arrosée.) à 70 cts la tasse, le café est une habitude aussi économique que désormais indispensable.

L’apéritif est très vite devenu une habitude, dès les premiers jours. C’est LE moment de détente privilégié de la journée, directement à la sortie du travail ou des cours, ou après la petite heure de sport (très sportifs les italiens, très), on se retrouve entre amis entre 19h30 et 21h00. Chacun consomme selon son humeur, j’avoue avoir développé une certaine addiction au Chianti. Ça ne peut pas faire de mal.
La fraîcheur de l’automne et le changement d’heure ont bien sûr signé la fin de l’apéro version estivale que vous connaissez vous aussi. Ce soir pourtant, pour la première fois depuis un bon moment, je suis allée prendre l’apéritif avec quelques amies. Un verre de vin, quelques « pizzette », et une heure de discussions futiles et amicales, sur tout, et surtout n’importe quoi. Une heure de vacances au milieu des études, et la chaleur du vin pour rappeler la douceur de l’été, qui reviendra. C’était simple et naturel, rassurant, décontractant. Comme une habitude.


Je prends toujours le même chemin pour aller et revenir de l’université, ce même chemin que j’ai décrit dans « nulla di nuovo sotto il sole ». Je le connais maintenant par cœur, et je ne me laisse (presque) plus surprendre par les caprices des pavés. J’ai l’habitude de ces rues, je sais où poser les pieds, à quelles heures la foule est trop dense, combien de temps il me faut pour me rendre d’un point à un autre, à quelles heures la vue depuis le jardin du Tolomei vaut le détour. J’ai l’habitude de ce chemin que je connais par cœur, et pourtant, je continue de marcher les yeux en l’air, à regarder se déployer les façades et se provoquer les gouttières, maladroitement alignées, face à face tant bien que mal alors que les rues tordent et se plient de manière insolente. Je continue de lancer les yeux à droite, à gauche, où je sais qu’une ruelle se dérobe sous des porches fleuries, où je sais que des escaliers pavés s’enfuient vers les sommets, où je sais qu’une fontaine sépare trois portillons. Je remarque toujours l’entrée du quartier général de la Contrada de L’Onde ; surtout quand le drapeau est sorti ; s’il y a un ruban bleu, c’est qu’un garçon est né. S’il est rose, c’est une fille. Si le drapeau est en berne doublé d’un fanion noir, c’est qu’un contradaiolo est décédé.
En entrant dans le jardin du Tolomei, je regarde toujours derrière moi, sur la gauche, sur la ville qui se réveille aux premiers rayons du soleil. Et puis, devant la Toscane, je m’arrête, souvent, si je ne suis pas en retard. Je prends le temps de graver ce tableau dans ma mémoire, en sachant que dans deux heures, lorsque la lumière aura changé, il ne sera déjà plus le même.
Oui, j’ai l’habitude de ce chemin. Mais à la beauté de cette ville, à la magie de ces rues, je ne me suis toujours pas habituée.

Ma vie à Sienne est à l’image du trajet que j’effectue tous les jours. J’y ai mes marques et mes repères, mes habitudes. Et je ne cesse pourtant de m’émerveiller chaque jour de mes découvertes, de ces nouveautés qui m’étonnent toujours.

J’avais dit que je n’écrirai pas cette semaine, parce que je n’avais rien de neuf à raconter ; je n’ai rien fait de remarquable, rien vécu d’exceptionnel. Simplement, une semaine ordinaire… habituelle.

C.



dimanche 11 novembre 2007

Suspension de séance...

Suspension provisoire des activités de ce blog pour cause d'examen de droit administratif en approche...

Non que je passe véritablement mes journées à réviser (je suis Erasmus, faudrait pas pousser) mais j'ai simplement mis un terme provisoire à mes activités "extra-scolaires". Essentiellement pour me donner bonne conscience, je n'en fais pas plus que d'habitude...

à bientôt pour la reprise...

C.

jeudi 1 novembre 2007

Du froid, du vin, et pas de chocolat.

C’est sous le coup de l’indignation et agitée par la révolte que je prends le temps de vous écrire cette semaine. Nous sommes dimanche 21 octobre, il est 21h44, et rien ne va. Il fait 12°C dans ma chambre, ce qui, vous en conviendrez, est fort peu. Outre cet inconfort notoire, ce qui dépasse franchement les limites de l’acceptable, c’est la température ambiante EXtérieure. 7°C. En Italie. En Toscane. AU SUD de l’Europe ! C’est un scandale. Rendez-vous compte ! Moi qui pensais naïvement faire mon hirondelle, partir me la couler douce au soleil le temps que la rude saison s’en reparte vers le Nord. Et au lieu de ça, je me les pèle injustement sur une colline venteuse. En plus la France s’est fait humilier par l’Argentine ce qui fait beaucoup, beaucoup, (beaucoup trop) rire les italiens. Tssssssss.

Ce week-end, c’était « gita erasmus » à Perugia et Assisi. Au programme du samedi, quartier libre dans Perugia en ce dernier week-end de l’ « Eurochocolate », ce que j’avais traduit par « salon du chocolat » avant d’y mettre les pieds. Ce n’était pas un salon du chocolat ; d’abord, il n’y avait rien de gratuit. Les quelques rares échantillons gracieusement distribués au public étaient de l’ordre du carré de chocolat que le cafetier vous sert avec l’expresso. Rien d’extravagant ni d’original donc. Par ailleurs, tout était cher. Pas moyen de trouver le kilo de chocolat « brut » à des prix bradés. Tout était vendu de manière noble, en produit de luxe. Mais pauvre gastronome, celui qui est prêt à dépenser de telles sommes sans avoir pu goûter la marchandise ! Le chocolat, c’est une surprise à chaque dégustation, c’est un poème, c’est un parfum astucieusement composé d’une gamme d’essences, et le mélange plait ou non selon les goûts, les sensibilités. Qui achète un disque sans en avoir jamais écouté un extrait ? Qui achète un tableau sans l’avoir regardé ? Et enfin, pour jouer la carte du produit de luxe, il me parait impératif de faire un effort de présentation. Aucune sculpture en chocolat, aucune présentation artistique, aucun thème, non, que des stands commerciaux de fête foraine, comptoirs, abondance désordonnée, vendeurs/e désagréables, peu enclins à détailler pour vous la composition de leurs produits. Ils vous répondent sur ce ton exaspéré qui sous-entend « vous n’avez qu’à le goûter ! » Certes. Le chien se mord la queue. C’est un cercle vicieux.

Il a fait froid, très froid ce jour-là. Mais le rire réchauffe le corps et l’âme, et je dois dire que je me marrais bien. Nous étions partis pour deux jours, retour le dimanche soir. Moi bien sûr, en aventurière aguerrie, je me suis limitée au minimum, le ramenant au nécessaire : une serviette de toilette, ma brosse à dents, juste ce qu’il faut de rechange. J’ai hésité, puis finalement pris mon crayon et mon mascara parce que nous allions tous en discothèque le samedi soir, et qu’un minimum de standing s’impose. Sans oublier trois pulls (superposables) dont la polaire « cold-proof » censée me protéger contre le froid saisissant qui règne la nuit dans…ma chambre. La même polaire m’a permis de passer une journée convenable tandis que l’écrasante majorité des Erasmus (au féminin) claquait bruyamment des dents dans leurs petits jean-vestes d’autonome. Les mêmes avaient pourtant emporté une valise entière, soulevant l’ombre d’un doute dans mon esprit embrumé par le lever matinal (« on part bien que deux jours oui ? ») Puis arrivés à Perugia, confrontés à un évident choc thermique, j’ai bien sûr pensé, les malines ! Elles ont regardé la météo, elles ont bourré leurs sacs de vêtements chauds. Que nenni ! Entre les sèches-cheveux, les friseurs, les lisseurs, les vingt-cinq tubes de produits différents, les ribambelles de colliers et les trois tenues entre lesquelles on en choisira une à porter samedi soir, plus de place pour le pull en laine de mémé, aussi disgracieux qu’utile lorsqu’on se balade dehors par 6°C un jour de grand vent. Je gardais pour moi les réparties sarcastiques qui me brûlaient la langue à chaque fois que l’une s’exclamait « mais ça caille !!! ». Bien observé…

Le soir, repas de groupe à l’auberge, et donc, bordel orchestré par les gars du GES (gruppoerasmussiena.it) Au menu : vin rouge à volonté. (entre autres, mais sachons aller à l’essentiel.) Bien entendu cette situation a donné lieu à toutes sortes de chansons paillardes, coutume décidément internationale : « Ceux qui sont du Portugal, levez vous, levez vous… prenez votre verre ! … buvez buvez buvez etc… » et on finit joyeusement sur un « l’acqua fa male, il vino fa cantare ! ». Bien sûr la France a eu son tour ; sauf qu’entre chaque vers de la chanson, les joyeux trublions inséraient un tonitruant « CAAAAAAMPEONE DEL MOOOONDO ! CAAAAMPEONE DEL MOOOONDO ! » sur un air bien connu. Qu’ils sont taquins. Je rumine ma vengeance prochaine.

En attendant le bus, le Groupe a organisé quelques rounds de « la guerra del vino », dont le principe est évidemment de boire plus vite que les deux autres concurrents. J’ai honteusement perdu face à une belge, mais j’ai tout de même devancé l’espagnole. C’est pas juste, elle était surentraînée.
Les survivants du dîner « open bar vin rouge » sont montés dans les bus direction la discothèque, tandis qu’une poignée de courageux prenaient en charge ceux que l’alcool avait décimés. Le lendemain, les traces de cette nuit épique se lisaient encore sur les visages pâles et cernés.

L’après midi du dimanche fut consacrée à la visite d’Assise. Contrairement à Sienne, dont rues et bâtiments ont parfaitement épousé le terrain et ses caprices, Assise impose ses lignes et ses angles. La ville embrasse la colline dans un ordre classique et rangé. Les arches du monastère sont parallèles et arrivent à la même hauteur, même si pour cela certaines ont les piliers plus longs que d’autres… Là où le terrain ne permet pas l’horizontale, l’architecture la crée. L’intérieur de la Basilique de Saint-François d’Assise était entièrement recouverte de peintures, dans les tons bleu, rouge et or. La saisissante spiritualité du lieu m’a presque convaincue d’allumer un cierge pour mes grands-parents. Mais conservation des peintures oblige, on ne pouvait pas allumer les cierges, seulement les acheter. Je me suis donc abstenue, et Saint-François s’en est vengé d’une manière odieuse. Il a fait grand vent toute l’après midi, mais ce n’est pas le pire. Une fois enfin rentrée à Sienne, je me suis hâtée vivement de rejoindre mon quartier général, animée par la douce pensée d’une douche chaude et d’un plat de pâtes. Bon je me suis tout de même fait arrêter par la vitrine d’un magasin de chaussures. (-70% dernière démarque.) En entrant dans l’appartement, premier choc : température ambiante 12°C. Froid. Ça commence mal, mais ça finit pire…
La cruauté est une notion subjective. Ecraser un insecte qui ne vous a rien fait, c’est méchant. Torturer votre petit frère, ce n’est pas sympa. Rentrer de week-end fourbue et crasseuse dans un appart à 12°C, c’est dur. Se rendre compte qu’il n’y a pas d’eau chaude, ça c’est vraiment cruel. J’ai serré les dents pour ne pas hurler et maudit Saint-François d’Assise pour ne pas penser au froid qui m’engourdissait la tête. Le point positif était qu’après la douche glacée, l’air ambiant de l’appartement me semblait s'être réchauffé.


Que tout le monde se rassure, l’hiver est reparti aussi rapidement qu’il était arrivé, et cette semaine, la douceur de l’automne a repris ses droits. Bien sûr, cet épisode m’a fait oublier toute considération stylistique et je ne me suis jamais décidée à l’achat d’un manteau et trois pull aussi rapidement que ce lundi matin. Le chauffage tourne à présent, et la seule chose qui me chagrine est que la saison de l’apéro touche à sa fin…

Cela dit, c’est la saison des dîners entre amis qui commence, ce qui n’est pas plus mal, vraiment…

À suivre.

C.

La revanche...

Ce vendredi 26 octobre avait lieu à Grossetto l'Erasmus Day, une journée de conférences et de rencontres autour du thème de l'Europe des jeunes, et du programme d'échange Eramsus. A cette occasion, le président du groupe Erasmus de Sienne cherchait des volontaires pour une présentation de cinq minutes de notre expérience erasmus jusqu'à présent. Volontaires, un pas en avant, et me voilà embarquée à préparer (ne laissons rien au hasard) un speech... en italien. Ci dessous le texte le plus long que j'ai jamais écrit en italien. C'est le premier. La grammaire et la syntaxe ont été revues et corrigées, mais le vocabulaire est de moi (sponsorisé par Hachette Français-Italien.)

Pouvoir enfin m’exprimer en italien constitue une première victoire, même si elle vient au prix de nombreux efforts. Peu importe, elle a comme un petit goût de revanche sur ces semaines de silence et de frustration. Aujourd’hui, j’ai pris leurs mots pour exprimer mes sentiments. C’est maintenant que l’échange commence vraiment.

Io sono arrivata alla stazione di Siena sabato primo di settembre alle otto della sera. Per fortuna, avevo conosciuto in Francia una ragazza italiana che studiava a Siena ; quindi, un suo amico è venuto a prendermi alla stazione, e mi ha offerto l’ospitalità, finché trovassi una stanza. Io non parlavo nemmeno una parola d’italiano – non l’avevo mai studiato prima. Subito dopo avere lasciato le valige a casa sua, lui mi ha portato a prendere l’aperitivo – non c’era migliore maniera di iniziare un anno d’Erasmus in Italia ! “aperitivo”, la prima parola che ho imparato ! E poi, lui mi ha presentato a una mezza dozzina dei suoi amici, cui nomi non ho potuto né capire né ricordare. Siamo comunque andati tutti insieme a cenare in un ristorante. La situazione mi è sembrata surreale ; non ho capito assolutamente niente di tutto quello che fu detto a tavola, ma ascoltavo la musica della lingua, provando disperatamente di ricordare alcune parole. Ma che importanza aveva ? Io stavo già vivendo un’altra vità, in un altro mondo. Antipasti, formaggi, primo, secondo, contorno, tutte queste cose erano tutte delle novità per me !
Nei primi giorni in questo mondo, mi stavo meravigliando di tutto. Mi sentivo –e mi sento sempre – come un’avventuriera, pronta ogni mattina ad esplorare questo paese sconosciuto, affascinante, pieno di sorprese...Perché tutto quello che per voi è routine, abitudine, mi sembra sempre stravaganza, novità.

Ma accanta a questa sete per le scoperte, viene un’intensa, intensa frustrazione. Non parlo la vostra lingua, la sto imparando. Provate immaginarvi quello che puo sentire una persona chiusa nel silenzio. Diventavo pazza di avere perso la capacità di esprimermi. Vedevo cose e paesagi che nessuna foto avrebbe potuto catturare, sentivo odori unici, che nessun profumo avrebbe potuto ricostituire, vivevo momenti ed esperienze che nessuna parola poteva descrivere. I sentimenti bollivano dentro, e non potevo esprimerli. Da questa frustrazione sono appena uscita – essendo questo discorso il più lungo che non ho mai fatto in italiano.

Ma questa frustrazione, questa frontera che ci imporre la lingua fa parte del erasmus, ne è un male necessario. Infatti, questa incapacità ad esprimersi, ci obbliga a tacere, e ad ascoltare un po’... Non è per niente facile, ma è necessario... Questi sforzi ci ricordano che le più belle ricompense della vità costano molta perseverenza, e molta pazienza. E la ricompenza dell’Erasmus le supera tutte. Ogni amizie che ho fatto, ogni incontro con uno di voi è favoloso, precioso, ùnico come se fosse un gioiello. E se infatti, ciascuna di queste amizie che ho fatto, se ciascuno di questi incontri che ho fatto fosse veramente un diamante, la mia ricchezza avrebbe già superato quella di Bill Gates. Da cinque volte. Almeno.

Allora per finire, vi vorrei soltanto ringraziare, per la vostra accoglienza oggi in Grossetto, ma sopratutto quest’anno in Italia.

E se dovete ricordare soltanto tre parole per descrivere l’Erasmus, vi consiglierei queste :

Scoperta – Incontro – Ricchezza.
C.

Coup de Blues ? ...

Dimanche, 28 octobre 2007.
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Baudelaire l’appelait le Spleen. Moi, je préfère le Blues, parce que ce mot rappelle la mélancolie de cette musique, teintée tout de même d’un soupçon de félicité. Je suis heureuse. Heureuse au-delà de mes rêves les plus fous car il ne me manque rien. Quand je rêve, je ne pense pas au passé, à ces moments merveilleux, à ces bonheurs intenses. Je ne rêve pas du futur, pas aux jours meilleurs, non, car je ne sais pas imaginer de « meilleurs » lendemains. Je rêve du présent. Le présent en son sens de tout-juste passé, sur le point d’arriver. Quand je rêve, je rêve de la journée qui vient de se terminer, je rêve au jour qui m’attend demain. Je ne cherche pas refuge dans mes souvenirs, je ne cherche pas à m’enfuir dans une vie future, inventée de toutes pièces.

Je suis heureuse car il ne me manque rien. Et pourtant, j’ai le blues. C’est étrange, cette sensation. Imaginer le bonheur avec un arrière goût…amer. Ah ! Sans doute pour cela qu’on l’appelle… Amertume…Mais tout de même…Si je n’ai pas de regrets, si je n’ai rien à envier, d’où me vient ce vide dans le cœur ? D’aucuns me diraient certainement que ce vide que je ressens n’est autre que la solitude, l’éloignement. Mais au fond de moi je sais bien que la solitude est une invention de l’esprit, une lamentation vaine, car personne n’est jamais seul. Il y a toujours une présence humaine dans notre environnement immédiat, une serveuse, un inconnu, une âme, un cœur et une oreille. Il y a toujours un téléphone portable en réseau avec des millions d’autres. Il y a toujours Internet, qui nous connecte à des milliards d’individus. Et celui qui prétend être enfermé dans la solitude oublie qu’il est un appareil qu’on ne peut ni éteindre ni débrancher – le cerveau. Qui prétend s’enfermer dans ses pensées rejoint le plus grand réseau de l’univers. Il y a toujours, à chaque instant, une pensée que vous destinez à un autre, et une pensée qui vous est destinée. Toujours.

Non je ne me sens pas « seule ». Mais alors pourquoi ? Le bonheur serait-il dans sa quête et non dans son obtention ? Seul importerait le voyage et ses nombreuses épreuves, non la destination ? Serait-ce par essence une sensation éphémère qu’on ne peut capturer ?

Au fond de moi, peut être, je connais la solution. Le bonheur réchauffe le cœur et l’âme comme un carré de chocolat qu’on laisse fondre entre la langue et le palais…Mais qui en abuse s’expose à la crise de foie. Il en va de même avec le bonheur. Comme des meilleures choses, il ne faut en profiter qu’avec une gourmandise modérée. Sinon, il prend un goût…amer.

Une overdose de bonheur…Tiens donc ! Cette simple idée me redessine un sourire…

C.

La catharsis.

Dimanche 2 septembre 2007, 23h. Deuxième nuit à Sienne…
À moi-même.


Je vis dans un rêve. Tout est musique, couleurs, mélodies, harmonie. J’ai remonté le temps, et je suis coincée entre les siècles. Un décor médiéval, une chaleur estivale, une ambiance jeune & electro.
Le plus difficile ? Lutter pour extraire les mots qu’on sait présents, on les connaît, leur sens, leur usage, il y a bien longtemps qu’on les a domptés. Et pourtant, ils résistent, et la lutte est vaine. Il faut se résigner à sourire, secouer la tête, lever les yeux au ciel, tout pour communiquer, à tout prix. On peut communiquer sans mots. C’est possible. Mais les mots ne servent pas qu’à communiquer. Ils servent à exprimer les sensations, les sentiments, les états d’âme. On peut exprimer ses sentiments sans mots, dans une certaine mesure. Mais que faire quand les yeux ne savent plus où regarder, que les oreilles brûlent d’entendre ces sons inconnus, que la tête déborde déjà d’images et de souvenirs, d’empreintes de ce nouveau lieu ? Il faut des mots. Même les mots ne suffisent pas, et lorsqu’on les a épuisés, que le silence revient, alors arrive le soulagement. Mais sans mots, pas d’exutoire. J’explose de sensations. J’ai le sentiment d’avoir perdu la parole, et que si on me la redonnait, je pourrais parler des heures, jusqu’à m’assécher la langue. Au lieu de ça, je noircis des pages, à la douceur de la nuit, sous les étoiles, avec pour seule lumière celle qui vient de la rue, et se réfléchit sur ces murs dix fois centenaires. Et pour seul bruit, la musique de cette langue qui m’exaspère et me nargue et qu’il me faut dompter, puis apprivoiser. C’est incroyable la facilité avec laquelle les mots me viennent alors que ma plume glisse sur ce papier. C’est signe de l’intensité de la frustration que génère la rétention de mes émotions dans cette prison de silence. C’est avec une rage vengeresse que j’exhibe des perles de langue française entre ces lignes que personne ne lira. Peu m’importe, j’ai seulement besoin de l’exprimer.

Voilà près d’une minute entière que je suis restée le stylo en l’air ; ma rage d’écrire a pris fin, l’exercice a rempli sa fonction cathartique. La ferveur pratiquement colérique qui tendait les muscles de mon poignet il y a encore quelques instants de cela a laissé place au soulagement. Exorcisé, mon corps est libéré de ses tensions. Je peux sentir ma respiration s’apaiser, les muscles de mes joues se détendrent, et presque aussitôt, redessiner un sourire, cette fois-ci empreint de sérénité. Ma tête sur le point d’exploser quelques minutes auparavant semble soudainement incroyablement vide, et le poids qu’elle exerçait sur mes épaules a disparu.

C’est fait. Je suis calme. Sereine. Et faire le vide m’a permis d’identifier le sentiment qui m’étouffait de son abondance, de son omniprésence.

Du bonheur pur.

C.

dimanche 28 octobre 2007

L'Amant Tourmenté

Lundi, 24 septembre.

Mon Amour,

Je ne sais que te dire ni par où commencer. Je veux que tu saches la peine que cela me coûte de te l’avouer…Mais aujourd’hui mon cœur saigne de ce qu’il me faut maintenant t’écrire.

Hier mon Amour, j’étais pourtant si sûr, certain que tu étais la seule, qu’il n’y en avait qu’une, aucune autre comme toi. Toi, mon unique, ma muse, ma perle, ma plus belle, je t’aimais passionnément. Hier encore vivait dans ma mémoire le souvenir de notre dernière rencontre. Cette interminable attente, toutes ces heures de tourmente, celles qui n’en finissent pas. De nos retrouvailles brûlantes, des heures passées ensemble, sur tes places et tes parvis, sur les quais de ta Seine, à l’ombre de tes ruelles… Mais étaient-ce des heures, des secondes ou des années ? Quand nous étions ensemble, le temps ne comptait plus, il s’était arrêté. Te souviens-tu de nos adieux sur les quais de tes gares, le dernier regard et le sourire forcé, le cœur lourd, la mine triste des amants qui se quittent sans savoir quand ils se reverront. Mais je t’aimais, aveuglément, éperdument. Un jour, je ne serai plus reparti, je te l’avais promis. Nous aurions vécu ensemble, peut être un siècle, heureux. J’aurais vieilli pour deux, pour que tu restes belle, toi lumineuse, toi coquette, toi paresseuse, toi midinette, toi grande dame pleine de sagesse, toi l’Immortelle, toi l’Eternelle. Je te croyais unique, tu m’en avais fait la promesse. Jamais, jamais je n’en avais regardé d’autres, ni tes aînées, ni ces jeunettes, toutes étaient fades et imparfaites à l’ombre de ta beauté.

Ô mon Amour, comme je regrette… Je l’ai rencontrée par hasard, sur le chemin. Je n’étais pas impressionné par ses grands airs, son attitude ni sa réputation. Au début, je la boudais. Elle, rieuse, moqueuse, légère, et moi buté, borné, elle s’amusait de ma froideur et de la distance que j’imposais. Mais plus je lui fermais mon cœur et plus elle persévérait. Et puis, comme ça sans prévenir, je ne sais plus, c’est arrivé. Elle m’a pris par la main, je me suis laissé faire. Je ne faisais rien de mal, ce n’est qu’une promenade ! Elle me montrait ses plus belles couleurs, ses ocres, caramel, rouge du soir, blanc de pureté. Elle se montrait sous son plus beau jour, parée comme une reine, exagérément belle. Mais sans pudeur aucune, c’est la seconde d’après qu’elle me dévoilait tout : ses côtés les plus sombres, à l’ombre de ses rues, les marques que le temps sur elle avait laissées. Je m’enivrais de ses parfums sucrés de cannelle et d’épices, de soleil du Sud et d’herbes de cuisine. Elle sentait bon les vacances et la liberté, elle sentait l’insolence, l’impunité. Elle me racontait son histoire, et moi je l’écoutais. Je buvais ses paroles, dévorais son parfum. Elle me faisait du charme, mes yeux s’en régalaient. Je voulais résister, mais il était trop tard, j’étais déjà vaincu. Je te savais plus belle, je voulais comparer ! Tu n’avais d’égale que ta meilleure rivale, et cela mon Amour, tu le savais. Mais qu’elle soit la meilleure ne diminue en rien ta singulière beauté. Et meilleure, elle l’était. Comme ça, sans prévenir, je me suis laissé séduire sur la Navona. Elle y avait amené Montmartre pour moi, et le souvenir de notre amour mourrait ici à l’ombre du marbre des fontaines… Les peintres gratifiaient les passants d’un peu d’immortalité, et moi, je pleurais des larmes de bonheur ému par sa beauté. Elle m’avait pris le cœur que je t’avais promis. Toute résistance était vaine, j’étais désormais sienne, pour l’éternité.

Je comprends ta colère, et ta jalousie, je peux comprendre tes larmes, pardonner ta furie, mais pardonne moi Paris de t’avoir reniée,
Mais j’ai rencontré Rome, et j’ai tout oublié.
Pardonne moi Paris, je t’ai toujours aimée
Rome a volé mon cœur, elle m’a ensorcelée.
Pardonne moi Paris ! Notre histoire est finie…

…Je suis amoureux de Rome.

Une page se tourne

Mardi 26 juin 2007.
Un jour étrange.

Mardi 12 juillet 2005, 8h30.

« Les journalistes servent-ils la démocratie ? »
La tête appuyée sur mon bras gauche, je regarde mon stylo vaciller dans ma main droite. Le sujet résonne dans ma tête…vide… Je ne pense à rien. En réalité, je repense à cet amphi moisi dans lequel j’étais enfermée hier encore, à Strasbourg. Je pense à la liste des admis à scpo Paris dans laquelle mon nom ne figure pas, et qui a été publiée hier. Je pense à ces six heures de route, à dépasser des voitures où l’on pouvait voir à l’arrière un jeune de mon âge, un livre ou un cahier à la main. Je repense à la déception qui prend à la gorge, à l’angoisse du lendemain indéterminé qui ne me quitte plus depuis plusieurs mois. Je sens la lassitude, qui m’accompagne depuis les épreuves du bac m’envahir à nouveau… Je lève les yeux. Dix minutes se sont écoulées depuis la remise des sujets et mes voisins les plus proches en sont déjà à leur troisième feuille de brouillon. Et là, sans prévenir, la lassitude fait place à la colère. Maintenant, j’en ai marre. La prépa c’est peut être le bagne, mais ici, c’est l’enfer. JE-ME-CASSE.

Mardi 26 juin 2007, 10h. Je sors de mon rattrapage de « Géographie », une-main-dans-le-dos-sur-un-pied-sans-respirer. L’IEP est désert, tout le personnel est à la fac de droit pour encadrer les épreuves d’admission en première année. Vu que j’ai dû prendre une demi journée de congé pour passer ce rattrapage, je n’ai rien de mieux à faire. Et si je croise le dirlo, je lui dirais le fond de ma pensée sur la manière dont les rattrapages ont été distribués cette année. Justement, le vlà, le directeur. Il est à côté d’une jeune fille accroupie qui se tient le ventre. « Elle ne se sent pas bien, sa mère va arriver ».Elle s’appelle Eliane et elle vient de Soisson, en Picardie. Elle a fait un bac ES, mais ça ne s’est pas aussi bien passé qu’elle l’aurait espérée, elle était meilleure élève durant l’année. Le concours, elle est là « juste pour voir ». Elle ira aussi à Aix, mais elle est déjà prise en hypocâgne, et elle préfère y aller, elle n’est pas sûre de vouloir faire scpo. J’ai continué à lui parler jusqu’à ce que sa mère arrive, parce que la vraie douleur n’est jamais aussi terrible que lorsqu’elle résonne dans la tête, en faisant battre les tempes. On oublie le mal au ventre, le mal aux dos, mais sa douleur à elle, je m’en souvenais bien.

Je m’en souviens de cet accès de rage qui m’avait fait rester à cette épreuve, et m’avait fait disserter pendant trois heures, sans brouillon, parce qu’on ne voulait pas me laisser sortir de cette salle, « pas avant 10h30. » Je m’en souviens de ce coup de fil, à midi, qui avait fait basculer la journée, et peut être bien plus de choses. Je m’en souviens de ce bistrot, « Au Nouveau Monde », devant lequel j’étais venue habiter, deux mois plus tard. Je m’en souviens, de ce jour-là. Mais aujourd’hui, dans ces lieux, dans cette ambiance, je m’en souviens sous un nouveau jour. Je vois les parents qui attendent patiemment sur les bancs que leurs enfants sortent de la salle. Je sens l’odeur de l’angoisse, de l’appréhension. Aujourd’hui je suis observateur de ce tableau. Aujourd’hui je peux lui dire qu’au fond ce n’est pas important, que rien de tout cela ne vaut la peine de se ronger les nerfs. Je peux lui dire que je la comprends, que je sais où elle a mal et que je sais pourquoi. Je peux lui raconter que moi aussi j’avais peur. Je lui ai dit qu’ils étaient nombreux à abandonner, et que je n’avais gardé aucun regret, parce que j’avais continué. Elle a finit par se lever, pour s’asseoir à côté de moi sur le banc. Sa voix ne tremblait plus.

Je suis repartie à la fin de l’épreuve. J’ai croisé les candidats seuls, accrochés à leur portable, et ceux venus à plusieurs. J’ai croisé les hordes de parents, les inquiets, les angoissés, et ceux qui le cachent derrière un masque de sérénité. Les grands frères et les grandes sœurs, et les ami(e)s venus soutenir leur candidat. Cette fois ci j’ai vraiment quitté la scène. Elle m’avait laissé un sentiment étrange, à l’époque, cette journée. C’était le dernier concours, la dernière chance et j’avais failli la laisser s’envoler. J’étais soulagée. Toujours dans l’incertitude, toujours dans l’attente, mais soulagée d’en avoir fini avec ma partie du travail. Les dés étaient jetés, et avec eux la déception, la colère, et l’angoisse.Deux mois plus tard sur les marches du Sacré Cœur, j’avais commencé une nouvelle vie.

Mardi 26 juin 2007. J’ai quitté la fac le cœur léger, et je suis repartie vers la préfecture, en marchant sous la pluie de ce morne jour de juin, avec le sentiment qu’une page venait d’être tournée. Enfin.
C.

And then what ?

Considérations sur le film "Marie-Antoinette" de Sofia Coppola.
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Samedi 27 mai 2006.
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in english, like the movie...
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" I’m wondering… what if Louis the XVI had been self confident enough to not let himself influenced, manipulated by his own ministers ? What if he had had the courage to stand up to them, and impose his own will ?

What if he had refused to send funds to help the Americans back in the 1770’s ?

I’m wondering… what if young Marie-Antoinette had had the nerve to stand up to the Court of France, smash rumors, crush criticism ? What if she had had the charisma to get over her loneliness, and fully play her role of Queen of France ? What if, instead of letting herself being intimidated by the Court, and thus spend huge amounts of money in luxurious parties, fabrics, and jewerlies, she had had the strength, willingness, and self confidence her husband lacked ?

What if she had been exemplary, would she have been the target of criticism to the monarchy ?

Go on… And imagine : no funds to America. Britain wins, and owes France for their victory. Thus : no retaliation : Britain doesn’t hold back the ships carrying wheat and flour to France, to supply for the bread shortage ; the very same bread shortage that triggered the Revolution.

No funds to America, no extravagant ruining parties every evening at Versailles : no public debt, no tax raise, no public outcry.

Keep going… no Revolution. The crown is not challenged.

Still with me ? Imagine that Louis and Mary Antoinette educate their children to follow their steps.

Would we still have a King at the head of France, if the Revolution had never happened ?

Would it be… a BAD thing ?



I still hang on to my theory about power, that power is something too heavy, too dangerous for one man to carry. That the best that could happen for such a man, is to go mad. You never have enough of it, and you never stop fighting to keep it, or to get more.
But what if you were born with all the powers, raised with the idea that you will one day rule over a kingdom, and that no one were to challenge your authority, that you would remain supreme AND only sovereign until your death.

What then ?

No pressure. No need to get more power : you’ve got them all. No need to fight to keep it : there’s no one to challenge you, no five-year terms, no electoral campaign, no elections.
That leaves your mind free of all those unimportant matters. You can focus on what matters, make important decisions without any other concerns that being a « good » sovereign, like your father taught you to be. To leave your name in History.

You still get surrounded by ministers and counsellors who will try to influence you. Who are closer to the people, and will relay the popular will. But you only have the wisdom to decide, according to the popular will AND the national interest.

Is it… So hard to imagine ?

Again : what would have happened IF… back in the eighteenth…



It strikes me how much personal stories can change the course of History. How two single people sealed the fate of the next generations, for centuries to come.

Now tell me again that one person cannot make a difference. Tell me again « that’s the way it is, and there nothing one single person can do. »

Yep.
One person really is too insignificant to influence the course of History.

C.

Résolutions 2007

Dimanche 21 janvier 2007.

Titre I : Les Grands Principes

N#1 : Prendre des bonnes résolutions
N#2 : Les tenir.
N#3 : « Appuyez vous sur les principes, ils finiront bien par céder. »
Avoir des principes, c’est bien. Savoir s’en détacher à l’occasion, lorsque les circonstances
l’exigent, c’est mieux.
N#4 : « La vie est une question de priorités. »
- Les priorités : les études, la famille, les amis, le rock, le sport, les loisirs, le BDE, le CA, les soirées, les corvées, la paresse (liste non exhaustive)
- l’ordre des priorités : dépend des jours, des moments, des saisons…

Titre II : Défis et Challenges.

N#5 : Etudier ré-gu-liè-re-ment et pas à l’arrache le dimanche soir…
N#6 : Trouver un job pour cet été
N#7 : Trouver un stage pour la 3e année
N#8 : apprendre l’italien.
N#9 : organiser la Moulinette.

Titre III : Dispositions d’ordre général

N#10 : Ne pas sécher les amphis sous prétexte que ce ne sont que des amphis. (sauf cas de force majeure, excluant la paresse caractérisée.)

N#11 : ne pas remettre à demain ce que je sais pertinemment que je ne ferai pas demain.

N#12
: La vie est courte et le temps s’envole, ne pas oublier qu’un jour où l’on ne ferait rien d’imprévu est une journée de perdue...

N#13 : pas de dépenses inconsidérées : les plaisirs simples sont les meilleurs, et le bonheur ne s’achète pas. (même en solde.)

N#14 : pas de prises de tête inconsidérées : il n’existe ni petite misère, ni grand malheur qu’on ne puisse relativiser autour d’un café fumant et d’une boîte de chocolats. (Leonidas)

N#15 : Il n’y a rien de pire que d’avoir des regrets.

N#16 : On ne peut jamais regretter une chose qu’on a faite autant que l’on peut regretter une chose qu’on n’a pas faite...

N#17 : Les échecs sont des détours sur la route du succès : se planter n’est pas une fatalité, à condition d’apprendre de ses erreurs.

N#18 : La gueule de bois n’est pas une excuse. TU BOIS, T’ASSUMES !

N#19 : Altruisme sans modération. Toujours. Les ennemis sont des amis incompris.

N#20 : La confiance en soi, c’est important. La modestie et l’humilité sont nécessaires.
Trouver l’équilibre c’est essentiel.

2007 : année se-reine… ^^

Nulla di nuovo sotto il sole

Vendredi, 19 octobre 2007.


Interlude descriptif destiné à combler l’absence de photos.
Sienne en images.



La porte se referme derrière moi. Il est huit heures quarante. Je jette un coup d’œil sur la gauche, où la via di Vallerozzi disparaît sous la porte d’Ovile. Au-delà, à l’horizon, on devine l’étendue de la campagne, sous un carré de ciel bleu. La journée s’annonce radieuse.


La confrontation avec la première épreuve est immédiate : l’ascension de la via di Vallerozzi sur une cinquantaine de mètres. La pente est raide, et le carrefour de l’Abbadia d’où déboulent scooters et voitures avec plus ou moins de considération pour les alpinistes d’un moment en est l’obstacle majeur. Et puis, c’est le sommet, l’arrivée sur la Banchi di Sopra, la route de Rome ou de Paris, selon le sens dans lequel on l’emprunte. Artère principale de la cité, elle est moins rue que fleuve, toujours parcourue d’un flot continu de l’aube aux dernières heures de la nuit. Impossible d’y accélérer le pas, même à cette heure matinale, il faut négocier avec les hordes de touristes, les travailleurs et les étudiants qui se croisent, les livreurs et les taxis qui tentent vainement de fendre la foule. Sur la gauche, la remarquable Piazza Salimbeni, cerclée de trois palais. Au fond, l’entrée de la prestigieuse Monte Dei Paschi, la banque symbole et principal mécène de la ville. Arrivée Piazza Tolomei, je me faufile à gauche de colonne qui porte la Louve et les jumeaux, l’emblème de Sienne ; on la voit partout. Je m’engouffre à droite de l’Eglise qui surplombe la place dans une ruelle bordée de cafés et de tabacs, qui plonge droit vers le cœur de la ville. J’aime les odeurs du matin. Il flotte dans l’air des parfums de café noir, de miel et d’amandes, accompagnés du tintement de la tasse en porcelaine qu’on repose sur son assiette. Je traverse l’autre rue principale, la Banchi di Sotto, aussi impraticable que la Sopra, avant de disparaître sous un tunnel.

Et là, elle explose devant moi. Le Palais sort de terre, la Tour jaillit devant le soleil, le sol s’affaisse et creuse une cuve de pavées roses. Alors que tout était ruelles étroites, foule, promiscuité et confinement, sur la Piazza del Campo, une force mystérieuse semblent repousser tout obstacle solide aux confins de la demi-lune pastelle, bordée de façades médiévales. Sa perspective si singulière est encore plus frappante à cette heure de la journée, avant qu’elle ne soit envahie par la foule. Mon passage provoque une envolée de pigeons, et le bruissement de leurs ailes étouffe le murmure de la Fonte Gaia, aux bas-reliefs de marbre. J’emprunte la ruelle à droite du Palazzo Pubblico, celle qui s’enfonce au plus bas de la ville. L’étroite rue sinueuse irrégulièrement pavée se déroule sous mes pas, et serpente à flanc de colline. De temps à autre, on peut apercevoir une ruelle adjacente escalader le relief, se dérober sous la pente, disparaître sous un porche.


Commence alors la plus rude épreuve du trajet : l’ascension de la Via Giovanni Duprè. La côte se dresse devant moi, impitoyable, couronnée de son arche fleurie. Je passe devant les portes toscanes qu’on retrouve en cartes postales, sous les balcons en fer forgé, sous le linge qui sèche aux premiers rayons du soleil, sous les volets vernis aux couleurs vives… Sous une arche, entre deux bacs de géraniums, un autre aperçu de la lointaine campagne donne de la profondeur à ce labyrinthe de briques, de pierres et de pavés. Arrivée enfin à la Porte de la Contrada de l’Onde, la rue continue son ascension sur la droite ; elle contourne le restaurant universitaire pour aller jusqu’à la fac’, mais moi je coupe à travers la cour du RU pour passer par le Jardin du Tolomei. Sur quelques pas, la colline bloque la vue, et le ciel bleu, et cette lumière rappellent la dernière dune avant la plage. Et puis, la récompense.

Devant moi, à perte de vue, s’étend la Toscane. Un coup d’œil en arrière complète le tableau : la Tour et le Palazzo Pubblico surplombent la Piazza del Mercato, laquelle sépare les deux crêtes qui portent la ville de ce côté-ci del Campo ; elles semblent embrasser la vallée qui se dérobe devant elles et s’étire jusqu’à l’horizon. Le spectacle est toujours au rendez-vous, mais ce n’est jamais le même. Le matin, la brume envahit la campagne, donnant l’impression de faire face à un océan d’écume. Une tempête silencieuse, immobile, fait rage devant mes yeux. Tout me rappelle ce tableau qui illustrait le mouvement romantique dans mon livre de français de quatrième : « Voyageur contemplant une mer de nuages »… A midi, la brume s’est levée, découvrant ça et là quelques perles rouges nichées entre deux collines : un village, un clocher… La campagne dévoile ses formes vallonnées, et le soleil du zénith illumine ses couleurs : vert, ocre, roux et or composent ce tableau d’une harmonie sublime, changeante, sereine. La brise apporte les odeurs de cuisine, de tomates, d’aubergines, d’huile d’olive, d’épices et d’herbes du Sud. Au coucher du soleil, la Toscane éteint ses couleurs, se drapant d’un voile bleu et brumeux, percé de quelques rares points lumineux, miroitant les étoiles. Telle est la vue qu’offre le deuxième étage de la bibliothèque à l’heure où j’écris. (Sala Legislazione, évidemment.)

Tout à l’heure, je descendrai par la Via di Città, qui zigzague entre les Contrade de l’Onde, la Tortue, l’Aigle et la Forêt. J’y croiserais peut être les Alfieri qui s’entraînent au maniement du drapeau, pour le défilé historique du Palio, au son des tambours. La Via di Città est un autre nerf touristique, bordé de boutiques traditionnelles, desquelles émanent une forte odeur de cuir, celle du sucre des glaces, l’amer du café. Un peu plus tard, on entendra le son clair des verres qui trinquent ; on sentira les parfums du vin, et celui de la pizza qui dore au four, et déchaîne l’appétit.


La ville est vivante. Le contraste est frappant entre l’éternité de ses murs et de ses mansardes dix fois centenaires, et la jeunesse de son cœur. Il n’y a pas de rues désertes, il n’y a pas de silence, tout est musique, mouvements, couleurs, odeurs, lumières. Il est une couleur cependant, une couleur de ville qui manque à celle-ci : le gris. De jour, elle brille de tons pastel, crème et caramel. Le soir, elle dévoile ses ocres, café et chocolat. Elle a parfaitement épousé sa terre, s’est construite et développée au mépris de l’ordre et du rectiligne. Les bâtiments plient et courbent avec les rues, suivent les moindres accidents de ce terrain capricieux, donnant à toute la ville une impression de souplesse, de désorganisation harmonieuse. Tout y est contraste, entre l’ombre et l’étroitesse des ruelles, la lumière et l’espace des places, entre l’immobilité et l’immortalité de ces édifices, et le flot incessant des voyageurs, des visiteurs.



A la tombée de la nuit, les étroites ruelles fermées de hautes façades restituent la chaleur qu’elles gardaient prisonnière, et la douceur du soir persiste de longues heures. La Piazza del Campo se vide doucement, et son étrange perspective devient l’écrin d’une poignée d’étoiles.


Demain, j’emprunterai le même parcours, le même chemin.
Comme d’habitude.

« Nulla di nuovo sotto il sole ».

C.

Chaussures, rentrée et cours de droit.

Dimanche, 14 octobre 2007.
Si je vous écris de si bonne heure en cette belle après midi automnale depuis mon lit, ce n’est pas (seulement) parce que nous avons passé la soirée à oublier la défaite de l'équipe de France de Rugby jusqu’aux petites heures du matin, c’est d’abord et avant tout à cause de la bouteille de glace qui immobilise mon pied gauche. Car C. qui ne se blesse pas de façon aussi originale qu’intempestive n’est pas véritablement C., j’ai donc réussi je ne sais trop comment à me faire quelque chose sur le DESSUS du pied gauche. C’est original, c’est un peu comme le coup de soleil sur les paupières. La semaine dernière, c’était le dos qui me faisait souffrir. La cause a rapidement été mise en évidence : en effet, on ne se promène pas dans des rues montagneuses et irrégulièrement pavées de la même façon que sur un macadam lisse et net. Marcher dans les rues de Sienne demande technique et entraînement. Quand ça descend, ça fait pas semblant, il faut bloquer le dos, se tenir en arrière et faire travailler les cuisses et les fessiers, comme à la montagne dis. Et quand c’est plat, c’est pas vraiment plat parce que les pavés, héhé… C’est fait pour se balader au rythme italien, c'est-à-dire lentement, jamais pressé, sans véritable but précis, « facciamo un giro », ou « ci vediamo in giro » on fait un tour », « on se verra en chemin ») étant deux expressions révélatrices de ce phénomène. Mais c’est certainement pas fait pour accélérer le pas parce qu’on est en retard et qu’il y a cours dans dix minutes. Un changement de rythme s’impose si je veux ménager mes vertèbres. Ma colocataire m’a sournoisement fait remarquer que j’aurais moins ce problème si je portais des chaussures un tantinet plus adaptées à la situation. Après lui avoir froidement rétorqué que mes Minelli étaient on ne peut plus adaptées à la situation, et que si elle croit que le confort est un critère de choix de chaussure, elle se fourvoie sérieusement, j’ai finalement abdiqué devant ce qui me frappait comme étant un argument de pur bon sens. Je porte désormais quotidiennement mes très sexy basket spécial jogging-sur-le-bitume (recommandées par le vendeur de Go sport) à des fins strictement thérapeutiques. Ce qu’il y a de positif à cette situation, c’est que le ridicule évident de mon look ne déteint absolument pas : le port des basket de sport sur le jean est très courant ici. Pour moi c’est d’une laideur finie, mais mon avis ne semble pas être partagé par la majorité de la population. Voyez vous ça.

A part ce léger désagrément que nous espérons passager (j’ai douze paires de chaussures à exhiber et il faudrait sacrément plus qu’un mal de dos ou des phalanges écrasées pour m’empêcher de parader sur talons hauts NON MAIS), tout va bien, et c’est un euphémisme.

Ce lundi 1er octobre avait lieu la rentrée universitaire. Toute rentrée amène toujours son lot d’anxiété, d’excitation et de surprises, mais le facteur « Italie » multiplie ces paramètres par dix. Je quittais donc mon petit chez-moi sur les huit heures trente, parée comme une écolière un premier jour d’école, d’affaires et de couleurs qui sentent le neuf et l’automne… Après une marche sportive, j’arrivais, optimiste, avec le fol espoir de suivre un cours d’histoire du droit italien, pré-choisi d’après les horaires affichés sur le site de l’université. Evidemment, de façon aussi prévisible que Sarkozy fera les titres du prochain JT, les horaires mis en ligne différaient quelque peu de ceux affichés sur les portes de l’université. Surprise surprise ! Résignée, j’ai repensé complètement mon choix de cours, m’asseyant royalement sur le « learning agreement » que j’étais censée respecter. À d’autres ! « Je suis Erasmus, je fais ce que je veux », selon le très personnel adage que je mets quotidiennement en pratique. Ce changement de programme salutaire m’a permis d’en faire qu’à ma tête pour le choix des cours, et surtout, surtout, de me débarrasser des cours « sciences-po », que j’avais choisis en trainant les pieds de toute façon. Cette année, ce sera du droit, rien que du droit, pour le droit et par le droit. Non parce qu’on commence par suivre un cours de politiques publiques, puis ce sera un cours d’économie, et puis pourquoi pas la socio, et puis c’est la section PES, et on finit au chômage. Ou pire, journaliste. Et alors là, sans moi, je rappelle que je fais une allergie virulente au journalisme, à tel point que je suis incapable de suivre l’actualité française. Si quelqu’un veut bien me dire si on est toujours en république, et si oui laquelle, la seule chose que je suis encore c’est la coupe du monde de rugby. Mais je m’éloigne du sujet.

Pour une quelconque raison que je ne m’explique pas, les cours de droit étaient plus ou moins tous prévus aux mêmes horaires, ce qui rendait le choix extrêmement difficile. Comment choisir entre un cours de droit constitutionnel et un cours de contentieux administratif ? Mon cœur balance et se déchire… Comment choisir ! Après moult hésitations, calculs et combinaisons, j’ai fini par adopter le menu suivant pour le premier semestre :

-Institutions de droit privé : c’était un piège. « institutitions » ne veut pas dire que ce cours traite des institutions. Il s’agit du mot latin « institutiones » qui veut dire les bases, les fondements. C’est le titre du premier manuel de droit romain, voulu et réalisé par l’Empereur Justinien. (j’en sais des choses, vous avez vu ça.) Ce cours est donc un cours d’introduction au droit privé, ce qui me convient parfaitement puisqu’il me donne une vue d’ensemble du droit privé, les clés de compréhension du langage juridique, tous les outils nécessaires à l’exploration de la matière. Excellent choix. Le débit de parole du prof est d’une lenteur soporifique pour les étudiants italien, mais contribue à mon bonheur en me facilitant la compréhension. En plus il écrit les mots latins-juridiques au tableau. Je l’aime.

-Droit pénal romain : ce choix peut surprendre. Je voulais un cours de droit romain, mais impossible d’en choisir un autre, plus général ou plus près de mes préoccupations, tous étaient aux mêmes horaires soit en même temps que mes deux autres cours fondamentaux. Je ne comprends pas grand-chose à ce cours, et je suis incapable de prendre des notes. Madame Pietrini parle trop vite, et surtout avec un trop fort accent toscan (ou accent « hoha-hola », surnommé ainsi par moi car l’accent toscan ignore le « c » placé entre deux voyelles ; « coca-cola » devient donc « hoha-hola ». ça surprend.) et surtout, elle balance à l’occasion des concepts ou citations en latin. Le latin, qui s’écrit comme il se prononce, sauf lorsqu’il est prononcé avec l’accent « hoha-hola » ; c’est un cercle vicieux. Tout ce que je sais, c’est que le droit pénal romain est très violent, il est question de sang et de morts, ce qui rend tout de même la matière intéressante.


-Histoire du droit italien. Le genre de cours qui ne sert à rien lorsqu’il est dispensé par un encravaté qui vous lit son livre. Ce que, vous en conviendrez, vous êtes parfaitement capables de faire seul chez vous. Fort heureusement pour moi, le cours d’histoire du droit italien est dispensé par un professeur qui ne va pas sans rappeler un certain spécialiste de droit constitutionnel bien connu des paliens lillois... Professeur d’âge (très) mûr, Giovanni Minnucci est le président de la faculté, le genre de monsieur sérieux qui refuse de se prendre au sérieux. Celui qui repère tout de suite la petite française au premier rang et qui du coup, fait des efforts d’articulations et appuie ses explications de schémas au tableau, histoire de me faciliter la compréhension alors même que je ne lui ai rien demandé. Celui qui sait rendre vivant des récits autrement poussiéreux, souligner l’intérêt d’un concept, illustrer ses propos d’exemples ou d’anecdotes, qui a des belles cravates. Il me fait des clins d’œil, c’est la classe.

- Droit administratif. Comment s’en passer ? Car certaines, contrairement à d’autres, dorment avec leur GAJA sur la table de chevet, et ont également invité « Hervé » (plus communément appelé Rivero-Waline, R-W) à passer l’année avec elles. Pour ne pas perdre la main, évidemment. Le prof ne fait pas cours, mais il pose des questions, commente et développe des concepts. Lui aussi il a des belles cravates, et même s’il parle vite et avec un fort accent non identifié, j’arrive à participer. Et oui, c’est pas pour frimer mais apparemment c’est nous qu’on a inventé le droit administratif. Certains concepts développés dans le manuel sont en français, et expliqués en italien. Je me marre… Trop facile, surtout que le plus difficile dans l’apprentissage du droit, c’est précisément d’en maîtriser le langage. Les mots ne sont pas substituables, il faut apprendre à manier les expressions ; pour mon plus grand bonheur, je sais déjà parler juridique, et figurez vous que c’est la même chose en italien ; alors que la traduction littérale est généralement déconseillée dans tous les aspects de la vie quotidienne, en droit, ça marche à tous les coups, impeccablement bien. Je jubile.

Au deuxième semestre, on a opté pour Droit constitutionnel italien et comparé, Droit administratif (deuxième semestre, y a pas de raison !) Droit de l’Union Européenne (peut être ma seule chance de goûter au droit communautaire !), Droit du travail (pour le fun et le challenge…) et espagnol parce que j’ai complètement perdu la main et que je veux pouvoir frimer en mettant sur mes CV que je parle français-anglais-italien-espagnol et que j’ai fait neuf ans d’allemand. Ça va bien finir par me servir un jour.

Je vais essayer de reprendre un rythme d’écriture hebdomadaire, histoire de réduire la longueur des mails et donc d’en faciliter la lecture… Mais j’avoue ne passer que TRES peu de temps à la maison ; je mange toujours au resto universitaire (ou "mensa") avec Francesca, sa sœur et des amies, je sors tous les soirs du mercredi au samedi et je passe le plus clair de mon temps en bibliothèque. C’est pas parce que je fais mon Erasmus quatre soirs par semaine de l’apéro jusqu’au bout de la nuit que je me la coule douce le reste du temps ; je suis toujours en mode « Tu bois, t’assumes », et je ne laisse pas la fôôôlie Erasmus empiéter sur mes nombreuses heures de bibliothèque. Je suis en plein fichage-étude de la constitution italienne. J’en entends déjà ricaner certains, d’autres hausser un sourcil incrédule, mais si si si, je bosse. Mieux qu’en France d’ailleurs, parce que la bibliothèque est ouverte de huit heures à vingt-trois heures en semaine et jusqu’à quatorze heures le samedi matin (bon j’ai pas encore réussi à me lever aussi tôt un samedi, mais j’y travaille !). Et quelque chose me dit que le cours de droit constitutionnel italien va être TRES intéressant, à en juger par l’agencement et le contenu de la constitution… Et pis je vais cartonner bien sûr. (soit-dit-en-passant-modestement.)

Je m’arrête là pour aujourd’hui. J’aurais encore beaucoup de choses à raconter, mais c’est bientôt l’heure de l’apéro. Et l’apéro ici, c’est sacré.
C.

Et la vie recommence…

Lundi, 1er octobre 2007.

Une fois passés les premiers temps, où se mélangent excitation et frustration, les habitudes s’installent et la vie recommence. Chronique de jours ordinaires :

Je suis finalement installée. Ma chambre double aux murs nus, au plâtre écailleux, au carrelage design pub Ajax fête des fleurs (AVANT le passage du balai magique) mon armoire en équilibre précaire qui hurle comme le vent sur un cimetière un soir de pleine lune à chaque fois qu’on l’ouvre, le puzzle qui sert de porte de douche et la non-existence de l’isolation de la fenêtre font désormais partie de l’environnement chaleureux et rassurant de mon « chez-moi », au cœur de la contrada de la Louve.

Je suis allée à Rome. Cinq heures de marche sous la cagna, et c’est rien comparé aux 40-45°C de juillet. La guide souffrait rien que de raconter ses descentes quotidiennes sur le Forum, qu’ils surnomment La Vallée de L’Enfer en été. La ville m’a fascinée. Il nous arrive parfois, en passant quelque part, de nous dire « ici, je pourrais bien y vivre. » Rome était comme ça, un de ces endroits où le temps disparaît, où l’espace d’une heure ou d’une journée, on sort de la réalité. Oui, je pourrais bien y vivre.

Le lendemain, escapade d’une toute autre nature puisque lever aux aurores pour aller passer la journée sur une île paradisiaque avec un bus d’Erasmus. Le Gruppo Erasmus de Sienne est très actif (et regorge de beaux gosses polyglottes), nous voilà donc tous partis direction Isola del Giglio : petit port de style très Cubain, très typisch (tuupiche pour les non-germanophones), plage de sable fin, lagune turquoise. Le soleil n’a fait qu’une apparition timide, ce qui arrangeait beaucoup feu-mon coup de soleil sur les paupières à peine résorbé, et qui n’enlevait rien à la beauté du paysage, ni au fun de la journée. Fun, car le très dynamique quintet du groupe erasmus a motivé les troupes pour une partie de « Béret » ou « Bandiera » pour la version originale ; deux équipes, chaque joueur a un numéro, faut être le plus rapide à récupérer le drapeau. Ambiance très colonie de vacances donc, surtout que tout le monde a joué le jeu, même les trois anglaises blondes-l’Oréal maquillées jusqu’aux oreilles en paréo mousseline. Je les charie mais elles sont sympa. (Soyons beau joueur !)

J’alterne entre comportement d’Erasmus qui se respecte et intégration en milieu italien. Le mercredi, c’est soirée Erasmus au Barone Rosso, bar plutôt sympa mais notoirement trop petit dans lequel il est impossible de circuler entre minuit et deux heures. J’ai beaucoup de mal avec la musique italienne, je suis pas fan de leur pop, et les bars jouent beaucoup trop de hip hop à mon goût, mais le mercredi soir, c’est Valério, l’ex-président du groupe Erasmus qui tient le rôle du DJ, et qui le tient bien ; j’ai ma dose de rock music, même si ça manque cruellement de danseurs…
Vendredi soir, c’était la dernière soirée entre étudiants du cours d’italien ; la plupart n’étaient venus à Sienne que pour le cours intensif, et s’en allaient à présent vers d’autres villes d’Italie pour y passer l’année ; on a évidemment échangé nos adresses (je garde notamment celle de l’allemand qui va en Sardaigne, et de la Finlandaise qui va à Venise !). C’était accessoirement l’anniversaire d’un des mexicains, colocs de Salva, un ami espagnol. Du coup, gros bordel chez eux, la voisine du dessus a d’ailleurs balancé un seau d’eau sur la terrasse vers les onze heures. Ces traitres m’ont fait boire du Gallimocho avant de m’avouer que c’était du vin rouge mélangé à du COCA-COLA. Pour ce crime, ils recevront un châtiment d’une cruauté exemplaire. Je réfléchis encore. Après avoir pris conscience que s’ils ne nous jetaient pas dehors tout de suite, ils allaient se retrouver à la rue le jour suivant, les colocs ont pris la bonne décision et nous sommes allés investir la fête de la contrada de l’Oca. Cette contrada a gagné le Palio de juillet, elle fête donc l’événement comme il se doit aussi souvent que ça lui prend. Ce vendredi, toutes les rues de la contrada étaient décorées aux couleurs de la contrada, les gens étaient déguisés, bourrés, joyeux, il y avait des bars et des pistes de danse en plein air tous les deux pas, c’était l’euphorie générale. J’y ai retrouvé un espagnol qui me parlait itagnol avec un accent andaloux… je vous fais pas un dessin. C’est trop facile.

Samedi soir en revanche, soirée italienne, qui a commencé comme il se doit par l’apéritif, au Diacceto. On s’y pointe vers les huit heures, il y a toujours quelqu’un qu’on connaît, on rencontre les amis des amis, on boit un verre de vin rouge ou un mojito en picorant des trucs italiens. (pas cher !!!) J’y retrouve souvent le groupe qui m’avait accueillie le premier soir, le samedi de mon arrivée. Après l’apéro, nous sommes partis à six dîner chez Attilio et Donato, en dehors de Sienne. Ils ont cuisiné un repas banal pour eux, et donc exotique pour moi : un « primo piatto » de « orechiette con cime di rapa e pomodori », je ne sais toujours pas ce que c’est que la « rapa » (ni si ça s’écrit comme ça d’ailleurs) mais c’était très bon, je n’en avais jamais goûté. Après, un « secondo piatto » de poulet au citron avec un « contorno » d’aubergines à la poêle. Entre temps, ils m’ont fait goûter de l’andouilla calabrese (orthographe incertaine), soit une espèce d’andouillette froide très épicée (j’ai beaucoup aimé !) et de la « ricotta forte », que j’ai beaucoup moins aimée parce que ça m’a rappelé un roquefort ayant mal vieilli. Et pour clore le repas bien sûr, un café. Nous sommes retournés à Sienne pour retrouver d’autres amis, que je n’avais pas revu depuis plusieurs semaines. J’ai fait des sacrés progrès en italien, ça en a surpris plus d’un. Faut dire qu’une C. qui parle donne le change de celle qui était, il y a quelques semaines de ça, infoutue d’aligner sujet-verbe-complément dans leur langue. J’ai encore un peu de mal à les comprendre, mais c’est leur faute ils viennent tous de différentes régions d’Italie avec différents accents, ce qui rend d’une part, la compréhension difficile, et d’autre part, m’empêche d’attraper l’accent, étant donné que j’en entend 5 différents par jour (Siciliano, Pugliese, Sarda, toscano, italiano.) Préférence pour la Sarde qui parle lentement en articulant. Je l’aime.


À l’heure où je termine ce compte rendu épique, nous sommes mercredi, soit le jour de la soirée erasmus, thème « chapeaux et lunettes ». Je regrette de ne pas pouvoir partager tous ces moments en images, mais mon appareil photo a définitivement rendu l’âme, après une longue agonie. Et j’ai la flemme de me faire envoyer par mail les photos que les autres ont pris. Les anglaises sont sur Facebook, je m’y ferais tager si je les y trouve.

Au prochain épisode : rentrée universitaire…

C.




Un giorno nell’ paradiso

Lundi, 17 septembre 2007.

Et voilà, deux semaines ont passé, et je ne sais déjà plus par quoi commencer… La frustration se dissipe à mesure que je progresse en italien. Je ne connais toujours pas assez de mots pour satisfaire mon habituel besoin de communication, mais les progrès sont visibles, ce qui est encourageant, je progresse plus rapidement que mes camarades étrangers, ce qui est stimulant, et on me dit que je parle bien et que je prends bien l’accent, ce qui est profondément soulageant. Je suis sur la bonne voie, je n’ai plus qu’à m’accrocher à Patience et Persévérance…

La semaine dernière, nous avions, en plus des quatre heures de grammaire de la matinée, deux heures et demi de cours « libre » avec une autre prof, laquelle était positivement frappée, et entre frappées, on se comprend. Nous avons eu droit, entres autres, à un cours de langue italienne « avec les mains ». Et oui, les nombreux gestes qui ponctuent le discours italien ne sont pas de vains brassements d’airs, mais ont chacun une signification précise. Je pensais qu’elle se moquait un peu de nous, mais l’éminent professeur Falassi, qui nous a dispensé aujourd’hui un cours de culture générale intitulé : « L’identita italiana : le tradizione in prospectiva antropologica », nous a distribué une fiche des principaux gestes italiens, et nous a passé un très sérieux film didactique sur le sujet. J’avais effectivement observé la plupart de ces gestes lors de mes « conversations » avec des autochtones (ils conversent et j’écoute…). C’est pas une blague, ils parlent VRAIMENT comme ça. Et moi aussi bientôt, parce que c’est plus facile que de conjuguer « avoir » au subjonctif imparfait. Comme si je ne gesticulais pas suffisamment en parlant...

Francesca (qui était erasmus à Lille l’année dernière, et qui m’a aidée pour tout à Sienne) est rentrée de France pour finir ses études à Sienne, et son retour m’a permis d’accélérer mon immersion. Je côtoie de moins en moins les erasmus et de plus en plus les « vrais » italiens, ceux qui interrompent ma tentative de phrase complexe pour me dire que j’ai des yeux magnifiques. Ils sont mignons. En plus, ils trouvent que le français est une langue trop sexy, donc il est inutile de savoir parler l’italien pour choper de l’italien. Note pour plus tard. (Papa, maman, Julia : je plaisante bien sûr.)


Ce samedi, l’università per stranieri nous a emmenés en promenade en Toscane. Au programme : Montepulciano, Pienza, et Bagno Vignone. Ça ne vous dit peut être rien, mais ce sont trois petits villages, trois petites merveilles posées sur une colline de la campagne toscane. De Pienza, il y avait une vue époustouflante, et le village était d’un romantisme enivrant ; les ruelles serpentant entre les maisons médiévales de couleur ocre aux balcons fleurissants s’appelaient toutes « rue de l’amour », « rue de l’éternité » , « obscurité complice », « place des amants », etc etc… C’était encore plus beau en italien mais mes souvenirs sont un peu flous. L’église de Pienza est construite sur une colline en roche très friable, ce qui fait que comme la tour de Pise, cette église penche doucement dans le vide. Il y a des fissures sur les murs et le sol à l’intérieur, et on sent vraiment l’édifice tomber vers l’avant. Il y a des sondes dans les murs pour suivre tout ça. C’est assez impressionnant. Bagno Vignone est la station thermale où se rendait Sainte Catherine de Sienne. Il y a une source d’eau chaude autrefois à 55°C, aujourd’hui à 30°C seulement, et des piscines naturelles ouvertes au public. Du haut de la collline, la vue était, une fois encore, indescriptible. Je vais vraiment m’installer en Toscane, quelque part dans la campagne. C’est magnifique. Je cherche les mots, mais tout ce qui me vient ce sont les images de ce jour, ces étendues de vert, d’ocre, et de bleu d’un ciel sans nuage.

Dimanche avait mal commencé. Avec ma coloc' finlandaise Tiina, sa compatriote Hannah, et Thibaut qui était venu passer quelques jours à Sienne, nous avions décidé d’aller à la plage. Après le passable mois de novembre de trois mois qui nous avait servi d’été en France, je rêvais de me prélasser sur le sable, en écoutant le clapotis des vagues. Vous savez, ce petit bruit envoûtant que fait la houle en s’écrasant sur le sable…ohhhhh oui… Après avoir vérifié, revérifié les horaires de bus, nous avions mis nos réveils à sept heures, soit terriblement trop tôt pour un dimanche matin (ie, un lendemain de samedi soir...) Nous arrivons au guichet de la station de bus sous une grisaille matinale peu encourageante, tout prêts à affronter l’amabilité de la guichetière. C’était pas la même que la dernière fois, mais j’ai bien reconnu sa gentillesse démesurée dans sa terrible réponse à notre requête ; le bus pour aller à la mer, « non c’è ». (« nonne-tché » = il n’y a pas.) La cruauté est dans le laconisme. Salope. Nous insistons, poliment, dans notre italien Assimil, mais si, c’est marqué – oui mais il n’y plus cette ligne après le 15 septembre – m’enfin vous desservez toujours les villes côtières non ? etc… après un quart d’heure de palabres épuisantes, nous réussissons à extraire la précieuse information : IL Y A un bus qui arrive à une plage, mais il faut faire un changement, et elle ne sait rien nous dire. Une heure de bus plus tard, nous arrivons dans une station glauque sous une épaisse couche de nuages, et je me dis que décidément , cette journée sent le mauvais plan, mauvais plan, mauvais plan… D’instinct, nous nous ruons vers l’unique bus présent dans la station, lequel affiche une destination « marina da sole » ce qui sonne bien comme un nom de plage. Le chauffeur, autrement plus chaleureux que les pétasses du guichet à Sienne, nous rassure immédiatement. ON VA A LA PLAGE. En plus, c’est pas loin. Et vingt minutes plus tard, nous descendons effectivement à quelques mètres d’une plage de sable noir, baignée de quelques rayons de soleil qui percent à travers la couche de nuages. Laquelle commencent à se dissoudre…et en moins d’une heure, nous étions doigts de pieds en éventails au bord d’une eau turquoise. LE PARADIS. Après trois mois de stage en hiver, une vraie journée d’été, une vraie journée de vacances, quelques heures de far niente sur une plage du paradis. Soulagement, félicité, que vous dire ! C’était une journée en or. En quelques heures, le plan foireux était passé au rang de hold up de l’année ; la plage pour nous tous seuls, un soleil d’acier tandis qu’il pleuvait sur Pise et faisait gris sur Sienne. Moi qui était d’une pâleur maladive, j’arbore à présent un teint caramel tout à fait digne des italiennes. J’ai cependant réussi à prendre un coup de soleil sur les paupières, ce qui doit être un record je pense. Du coup au réveil ce matin, j’avais les yeux enflés d’un crapeau, et j’y voyais plus. Peu importe, ça en valait la peine. Mes yeux ont désenflés à coup de glace et de crème hydratante, et on dirait maintenant que je porte de l’ombre à paupière rose-rouge, mais j’ai l’habitude du ridicule, mal inoffensif. J’ai passé une journée de rêve au paradis.

Je m’apprête à affronter une semaine rude : tous les soirs, cours de culture générale italienne avec l’éminent professeur Falassi, et les intitulés sont aussi attractifs que celui cité plus haut. Le point positif, c’est que je comprends ce qu’il raconte et que j’arrive à prendre des notes en même temps, ce qui est de très bonne augure pour le début des cours en octobre.

Merci pour les nouvelles de tous, je vous lis des quatre coins du monde et je constate qu’on vit tous une expérience « de ouf ». La vie semble incroyablement moins réelle ici, sans repères, sans habitudes, sans visages ni présences connus. Notre vie continue quelque part, sans nous, alors que nous sommes en vacances…quelque part au paradis.

La suite à suivre, en direct de la dimension parallèle « 3A ».

C.