dimanche 28 octobre 2007

Une page se tourne

Mardi 26 juin 2007.
Un jour étrange.

Mardi 12 juillet 2005, 8h30.

« Les journalistes servent-ils la démocratie ? »
La tête appuyée sur mon bras gauche, je regarde mon stylo vaciller dans ma main droite. Le sujet résonne dans ma tête…vide… Je ne pense à rien. En réalité, je repense à cet amphi moisi dans lequel j’étais enfermée hier encore, à Strasbourg. Je pense à la liste des admis à scpo Paris dans laquelle mon nom ne figure pas, et qui a été publiée hier. Je pense à ces six heures de route, à dépasser des voitures où l’on pouvait voir à l’arrière un jeune de mon âge, un livre ou un cahier à la main. Je repense à la déception qui prend à la gorge, à l’angoisse du lendemain indéterminé qui ne me quitte plus depuis plusieurs mois. Je sens la lassitude, qui m’accompagne depuis les épreuves du bac m’envahir à nouveau… Je lève les yeux. Dix minutes se sont écoulées depuis la remise des sujets et mes voisins les plus proches en sont déjà à leur troisième feuille de brouillon. Et là, sans prévenir, la lassitude fait place à la colère. Maintenant, j’en ai marre. La prépa c’est peut être le bagne, mais ici, c’est l’enfer. JE-ME-CASSE.

Mardi 26 juin 2007, 10h. Je sors de mon rattrapage de « Géographie », une-main-dans-le-dos-sur-un-pied-sans-respirer. L’IEP est désert, tout le personnel est à la fac de droit pour encadrer les épreuves d’admission en première année. Vu que j’ai dû prendre une demi journée de congé pour passer ce rattrapage, je n’ai rien de mieux à faire. Et si je croise le dirlo, je lui dirais le fond de ma pensée sur la manière dont les rattrapages ont été distribués cette année. Justement, le vlà, le directeur. Il est à côté d’une jeune fille accroupie qui se tient le ventre. « Elle ne se sent pas bien, sa mère va arriver ».Elle s’appelle Eliane et elle vient de Soisson, en Picardie. Elle a fait un bac ES, mais ça ne s’est pas aussi bien passé qu’elle l’aurait espérée, elle était meilleure élève durant l’année. Le concours, elle est là « juste pour voir ». Elle ira aussi à Aix, mais elle est déjà prise en hypocâgne, et elle préfère y aller, elle n’est pas sûre de vouloir faire scpo. J’ai continué à lui parler jusqu’à ce que sa mère arrive, parce que la vraie douleur n’est jamais aussi terrible que lorsqu’elle résonne dans la tête, en faisant battre les tempes. On oublie le mal au ventre, le mal aux dos, mais sa douleur à elle, je m’en souvenais bien.

Je m’en souviens de cet accès de rage qui m’avait fait rester à cette épreuve, et m’avait fait disserter pendant trois heures, sans brouillon, parce qu’on ne voulait pas me laisser sortir de cette salle, « pas avant 10h30. » Je m’en souviens de ce coup de fil, à midi, qui avait fait basculer la journée, et peut être bien plus de choses. Je m’en souviens de ce bistrot, « Au Nouveau Monde », devant lequel j’étais venue habiter, deux mois plus tard. Je m’en souviens, de ce jour-là. Mais aujourd’hui, dans ces lieux, dans cette ambiance, je m’en souviens sous un nouveau jour. Je vois les parents qui attendent patiemment sur les bancs que leurs enfants sortent de la salle. Je sens l’odeur de l’angoisse, de l’appréhension. Aujourd’hui je suis observateur de ce tableau. Aujourd’hui je peux lui dire qu’au fond ce n’est pas important, que rien de tout cela ne vaut la peine de se ronger les nerfs. Je peux lui dire que je la comprends, que je sais où elle a mal et que je sais pourquoi. Je peux lui raconter que moi aussi j’avais peur. Je lui ai dit qu’ils étaient nombreux à abandonner, et que je n’avais gardé aucun regret, parce que j’avais continué. Elle a finit par se lever, pour s’asseoir à côté de moi sur le banc. Sa voix ne tremblait plus.

Je suis repartie à la fin de l’épreuve. J’ai croisé les candidats seuls, accrochés à leur portable, et ceux venus à plusieurs. J’ai croisé les hordes de parents, les inquiets, les angoissés, et ceux qui le cachent derrière un masque de sérénité. Les grands frères et les grandes sœurs, et les ami(e)s venus soutenir leur candidat. Cette fois ci j’ai vraiment quitté la scène. Elle m’avait laissé un sentiment étrange, à l’époque, cette journée. C’était le dernier concours, la dernière chance et j’avais failli la laisser s’envoler. J’étais soulagée. Toujours dans l’incertitude, toujours dans l’attente, mais soulagée d’en avoir fini avec ma partie du travail. Les dés étaient jetés, et avec eux la déception, la colère, et l’angoisse.Deux mois plus tard sur les marches du Sacré Cœur, j’avais commencé une nouvelle vie.

Mardi 26 juin 2007. J’ai quitté la fac le cœur léger, et je suis repartie vers la préfecture, en marchant sous la pluie de ce morne jour de juin, avec le sentiment qu’une page venait d’être tournée. Enfin.
C.

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