mercredi 22 avril 2009

Microcosmos

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite.


Le village me fascine. Celui d’où je viens, ceux où j’ai vécu. Chaque village est un monde à part, qui a ses habitudes, et ses habitués. Les mamies du club couture se retrouvent le mercredi pour préparer le marché de Noël, celui de Pâques, la tombola de la St Jean, la Sainte-Cécile, etc, et peu importe : les occasions de vendre des napperons (et des parts de tartes) ne manquent pas. Les vieux jouent à la belote le lundi, et au tarot le jeudi. (car le mercredi, le foyer est occupé par le club couture, vous suivez ?) Le mardi soir, il y a la chorale, qui mélange les âges et les catégories socio-professionnelles. Le mercredi soir, les femmes tiennent leur séance de gymnastique hebdomadaire(Si si,j'y étais !) Enfin, certains dimanches –après la messe, tout le village se retrouve pour un rassemblement festif, à l’ambiance bon enfant. Les générations passent, et les habitudes persistent.

Que ce soit en petit comité, entre-soi de sa génération, en réunion semi-sérieuse (comme le club chorale) ou en assemblée plénière (comme le dimanche midi), chaque réunion est le moment privilégié d’échange des nouvelles du village, quand elle n’en est pas l’objet principal, à peine déguisé en un prétexte douteux (le club de gym) ; pour parler branché, c’est le moment où l’on «update» les «mini-feeds» du village. Et chacun de commenter allègrement, de diffuser, de moquer, de critiquer, de saluer, etc… Bref, Facebook n’a rien inventé. Chaque dimanche, lorsque les photos circulent, les aînés pratiquent «le tag» sans le savoir. «mais siii, là c’est donc la marie-jo, la nièce de l’oncle du philippe !» «oooh mais oui, mais là alors c’est donc le père de la jacqueline !» etc etc etc. Bien sûr, comme sur Facebook, ces discussions n’ont d’intérêt pour le quidam que s’il appartient au réseau ; autrement dit, s’il est connecté, d’une manière ou d’une autre, au village dont s’agit. Ainsi, malgré des années d’absences, je reste un membre à part entière de la communauté, chacun pouvant exhiber à loisir les photos de mes premières prestations théâtrales à la fête de l’école, celles de mes frères, celles du mariage de mes tantes, jusqu’aux très compromettantes photos du 18 juin, sur lesquelles j’apparais vêtue du costume traditionnel lorrain (ce pourquoi j’ai décidé de renoncer à toute carrière politique : racheter toutes les photos compromettantes, ajouté au silence des habitants de mon village eut été vain, et bien trop onéreux.)

L’étranger au village est par définition le dernier arrivé ; il est l’objet de toutes les curiosités. Qui est-il, d’où vient-il, que vient-il faire ici ? Face à la pression, notre étranger serait tenté de se réfugier derrière ses rideaux. Grave erreur. Le meilleur moyen de couper court aux ragots est de jouer cartes sur table, en répondant aux questions de chacun. Et très vite, l’étranger n’en est plus un. Surtout que dans un village, personne ne reste « étranger » bien longtemps.

Je ne suis déjà plus l’étrangère de ce village-là. Encore une petite jeunette, qui n’est là que pour quelques mois ; résidente provisoire venue compléter ses études. On la laisse volontiers s’asseoir à notre table, prendre part à nos débats, mais nous savons bien que cette demoiselle ne s’éternisera pas. De toute façon, «le buzz» au village ces derniers temps, c’est l’arrivée du nouveau curé. L’ancien a pris sa retraite, et l’on attend le remplaçant promis par le diocèse. On se renseigne comme on peut ; qui est-il, quelle est son histoire, pourquoi vient-il ici ? Ce futur «étranger au village» suscite déjà une polémique globale, à l’échelle du comté. Le villageois n’aime guère être bousculé dans ses habitudes, et un curé, on dira ce qu’on voudra, ça reste une figure d’autorité. Une autorité absolue même, que ce chef de paroisse exercera dès son arrivée. Personne n’est sans histoire, et un curé, ce n’est pas un vagabond. Aussi, chacun tire les ficelles qu’il peut. Madame Machin connaît quelqu’un qui connaît la femme de quelqu’un, qui connaît très bien l’aide servante de Monseigneur Truc. Une femme qui a travaillé avec lui pendant quinze ans, pensez-donc ! Une source d’information précieuse. Madame Bidule, la bibliothécaire de l’école primaire a appelé une collègue, en poste dans la paroisse où exerçait précédemment Msgr Truc. Et alors, Madame Bidule a récolté tout ce qu’on en a pensé, de Msgr Truc, dans ce village d’avant. La bibliothécaire, qui a travaillé avec Msgr Truc pendant un temps, l’a décrit comme étant un «gentil-colérique». Ou un «colérique-gentil». Elle ne sait plus. L’association de ces deux qualificatifs apparemment peu conciliables a été longuement discutée au cours du club cuisine.

L’inconnu fait peur, l’inconnu effraye, surtout celui qui entre directement aux plus hauts échelons de la hiérarchie du village ; on accueille sans trop s’en méfier celui qui habitera la maison juste avant le panneau de sortie du village ; en revanche, on se mêlera de plus près de l’arrivée d’un nouvel instituteur, ou justement, d’un nouveau curé. Nom de nom, c’est tout de même celui qui va prêcher la bonne parole, imposer le dogme sur la commune ! Chacun est en droit d’être un peu inquiet, et dans l’attente d’une rencontre, chacun s’affaire à récolter des informations, afin de préparer sa «première impression». Surtout maintenant que l’ancien curé est parti, alors là, les jeux sont ouverts, tous les coups sont permis !

Mais on attend de le voir, ce nouveau curé. Au pot de départ de l’ancien, il n’y était pas –il parait que cela ne se fait, d’inviter son successeur. Mais cette semaine, l’étranger-point-d’interrogation était l’événement : une visite du village était prévue. Allait-il visiter l’école, le foyer, la mairie, ou se contenter de repérer la chapelle et la sacristie, guidé par M. le maire et une poignée de notable ? Allait-il rencontrer la présidente du club couture, celle de la chorale, celle du club de gym ? Tant de questions, et autant de conjectures largement débattues chaque midi. Et puis, la visite a eu lieu. Juste lorsqu’on croyait avoir épuisé les hypothèses possibles, voilà que l’intéressé fait une apparition, relançant la machine à potins à pleine puissance. Le moindre fait, le moindre mot se propage à travers la population aussi rapidement et irrémédiablement que l’onde à la surface de l’eau. Incertitude quant à la date de son entrée en fonction, on ressasse alors l’arrivée et le départ des curés précédents, aussi loin que les vétérans s’en souviennent.


Juger n’est pas donné à tout le monde, et pourtant, tout le monde juge. Sans savoir, sans connaître, peu importe, ces jugements-là n’ont de définitif que le ton de celui qui les prononce. Ce ne sont que des mots, des sentiments, des affirmations déjà contredites et abandonnées. L’étranger au village a ce pouvoir, celui de concentrer sur son fantôme l’attention de la communauté. Mais il n’est pas le seul. Au village, les gens vont et viennent, presque au rythme des saisons. Qui part, qui reste, qui vient, ou revient, ici on n’attend pas qu’un panneau « à vendre » pousse sur une parcelle pour annoncer un départ, ou prospecter un nouveau. On se croirait dans une partie de « chaises musicales » grandeur nature. Et si on pouvait pousser la chaise de certains, ce ne serait pas de refus ! Ah mais attention, ça dépend de « qui vient prendre sa place » ! Non parce que si le voisin plie bagages, les résidents mitoyens retiennent leur souffle : si on pleure le départ d’un bon vivant, on appréhende douloureusement son remplaçant. On n’ose guère, pour les mêmes raisons, sabrer le champagne au départ d’un indésirable… Les gens sont parfois cruels entre eux, parfois sans le vouloir.

Outre le «buzz» du moment, il y a la routine de ces réunions hebdomadaires. La naissance d’une petite-fille donne un prétexte aux femmes de la chorale pour se raconter leurs histoires d’accouchement, faire un concours d’heures de travail et de cicatrices (bon appétit). Au club couture ce matin-là, on commentait plutôt –pour la 250ème fois ce mois-ci, la coiffure peu orthodoxe de ce jeune instituteur, dont chacun s’accorde à louer le professionnalisme et le charme ; une rare exception à la règle des ragots, qui ne parle de qualités que lorsqu’elle échoue à trouver des défauts. Une vraie perle cet instituteur. Et quel bel homme ! Ah, c’est comme le maître des CM1, lui aussi, quel charisme, un charme fou ! Et puis lui, c’est un dragueur hein, pas un timide, on en profite pour rappeler ses faits d’armes ; Ah, rumeur toujours, on s’interroge, le jeune instit’ des CM2, n’y aurait-il pas anguille sous roche avec la maîtresse des maternelles 3 ? Après tout, ils partagent le même bureau, on ne sait jamais… Oh mais c’est pas comme la directrice du 3e cycle, elle c’est pas « Sœur Sourire », c’est plutôt « Mère Sévère » ! Faut la voir mener son département à la baguette, avec elle, ça file droit !

Et puis, il y a le maire, et le directeur de l’école. On l’aime bien, Monsieur le Maire. C’est un monsieur un peu âgé avec beaucoup de caractère. Il ne manque pas d’autorité ni de sagesse, et on le respecte pour les deux. Le directeur quant à lui, est un homme sérieux, et extrêmement consciencieux, chacun s’accorde à le reconnaître, même si personne ne voudrait être à la place de ses secrétaires ; la rigueur qu’il s’impose, il l’impose également à ses proches collaborateurs. C’est pour le bien du service, évidemment, mais les considérations d’intérêt du service ne suffisent pas à convaincre ces dames du bien-fondé de leur surmenage, non pas lorsque leurs collègues de la mairie s’arrêtent deux fois la journée pour une pause café prolongée. Ah, de toute façon, personne n’est jamais content avec ce qu’il a, et se plaindre, entre nous, c’est l’activité majeure de ces dames, et le sujet de discussion privilégié du club couture. Alors hein ! Et puis ça défoule, et ça ne coûte rien.


Je ne suis plus l’étranger au village, plus depuis que je déjeune à leur table. Plus depuis que d’autres sont arrivés après moi. Plus depuis que «l’étranger», c’est officiellement ce nouveau curé, dont tout le monde parle, mais que personne ne connaît. Et puis, moi aussi, je suis d’un village. Et tous les villages se ressemblent, dans cette façon que ses habitants ont de délimiter leur territoire et leur population, cette façon de tenir chacun à jour des agissements des autres, cette façon de transformer des non-événements en petits «happening» quotidiens. L’anonymat des villes m’aura presque fait oublier cette ambiance intimiste, indiscrète du village : où chacun surveille, commente et critique ce que fait son voisin…

Heureusement, en cherchant bien, le village n’est jamais loin…

C.

3 commentaires:

POC a dit…

Ma visite a eu lieu, c'est vrai. Je ne pensais pas qu'elle produirait autant d'effets ;-) !

Célimène a dit…

Tout ceci n'est que pure fiction.

Evidemment.

Tu me connais!

POC a dit…

Ah, oui, c'est vrai, j'oubliais.

Mais de toutes façons, je ne suis moi-même que pure fiction. Donc tout va bien !