jeudi 10 janvier 2008

La Laurea

Décembre 2007

A Antonio M.
Il più italiano degli italiani
Tanti auguri per il futuro, per la nuova vità che si apre in questo giorno particolare.
Tanti auguri per la tua laurea, mercoledi 12 dicembre 2007.
Grazie
C.

Facoltà degli studi di Siena, quinze heures trente. La famille, les amis, tous sont venus assister à la remise de diplôme de la dizaine d’étudiants glorieusement libérés ce jour de cinq ans d’études. Le hall fourmille de gens bien habillés, talons aiguilles, costumes et cravates contrastant avec l’indémodable jean baskets des étudiants. La porte d’une salle s’ouvre, et une étudiante sort, suivie d’un groupe de gens qui la félicitent chaleureusement. Quelques minutes plus tard, elle est rappelée dans la salle avec ses invités. Un tonnerre d’applaudissement gronde à l’intérieur, et la jeune fille ressort couronnée de lauriers. J’avais déjà eu l’occasion d’observer ce rituel étrange, mais aujourd’hui, j’y participe ; mon ami Antonio est le prochain appelé.

Nous entrons dans la salle. Devant, une table de six professeurs en robe noire et écharpe violette. Le président du jury est reconnaissable à l’écharpe blanche et noire qu’il porte sur son épaule droite. Face à l’imposante tablée, une chaise : la place du candidat. Cette étape s’appelle La Discussione. Les professeurs posent des questions ayant rapport avec la thèse de l’étudiant. Cette discussion, ou débat, peut durer de dix à quarante cinq minutes (quinze en moyenne). Quoiqu’il advienne, le candidat obtiendra son diplôme à la fin de la session, ce n’est pas à proprement parler un examen, même s’il y a bel et bien une note décernée, car l’enjeu n’est pas le diplôme. Autrement dit, on ne remet pas en cause cinq ans d’études sur la base d’un oral, au cours duquel on ne pose pourtant que des questions portant de près ou de loin sur la thèse du candidat. Le principe m’a tout d’abord surprise. Comment, votre « Grand’O » à vous ne porte pas sur absolument n’importe quel sujet, de n’importe quelle année et de n’importe quelle section (une chance sur cinq seulement de tomber sur un sujet propre à votre section !) mais il porte sur votre sujet de mémoire ! Vous n’avez pas droit à une heure de préparation sans documents, mais à six mois de recherches et tout le matériel dont vous pouvez rêver ; enfin, on ne décide pas de l’attribution ou non de votre diplôme sur votre seule performance à cet oral. Vraiment étrange, comme système. Mais laissons de côté la mauvaise foi qui m’aveugle, et revenons à nos moutons. Nous ressortons tous ensemble de la salle d’examen, derrière Antonio franchement couronné des traditionnels lauriers. Il est plus que temps de fêter cela dignement, alors en route pour l’apéro dans un café du coin, où famille et amis trinquent joyeusement à la santé du nouveau diplômé, tandis que les bouteilles de Prosecco envoient voler leurs bouchons aux quatre coins de la pièce. Puis, délocalisation de la fête sur la Piazza del Campo. Une dizaine seulement d’étudiants s’étaient diplômés le même jour, et en cette saison hivernale, ils avaient semble-t-il choisi d’autres lieux, couverts, chauffés, afin de célébrer l’événement avec les leurs. Pauvres fous, car malgré la température hostile, le cœur de Sienne était ce soir-là le plus bel endroit de la terre. Il y avait la lumière dansante de l’eau de la Fonte Gaia, il y avait les lanternes des terrasses désertes à cette heure là, il y avait la rumeur de la rue, les pas pressés des passants dans le froid, il y avait l’air de décembre, le ciel de velours et les étoiles de la voûte, et en dessous, il y avait nous, le vin pour réchauffer la gorge et les rires pour réchauffer le cœur. À vingt heure trente, nous avions rendez-vous au restaurant, réservé pour une trentaine de personnes : famille, amis proches, il faut dire que ce sont cinq ans d’études, cinq ans d’une vie dans une ville qui n’était pas la sienne, mais qui l’est devenue, dont on fête ce soir la conclusion. Trois jours plus tard, c’était à grands renforts de larmes que nous souhaitions bon voyage à Antonio, actuellement en stage quelque part au fin fond de la Bulgarie. Le dîner ce soir là, avait des airs de dernier repas, et la fête avait ce goût doux-amer des veilles de grand départ. Il y avait la chaleur de la joie, la joie de se retrouver tous ensemble à célébrer une victoire, mais teintée de nostalgie, celle d’un temps révolu…Qu’on regrette déjà. La fin d’une époque. J’ai connu Antonio il y a deux mois à peine, mais pour les autres, ce sont cinq ans d’habitudes et d’amitiés, de compagnon de bringue, de voisin de bibliothèque qui finissent aujourd’hui. Il y a eu du vin ce soir là, beaucoup de vin qu’un charmant petit blond aux yeux verts s’obstinait à verser dans mon verre en dépit de mes protestations (fort peu sincères, je vous l’accorde. Il avait de très beaux yeux verts.) Le repas fût évidemment un festin, j’y ai même eu l’occasion de découvrir une recette de pâtes que je ne connaissais pas encore, après trois mois, rendez vous compte ! Il s’agit des pici al cacio e peppe, on fait difficilement plus simple, et on fait difficilement meilleur : fromage fondu sur les pâtes et poivre. J’ai renouvelé l’expérience et je m’émerveille encore devant ce plat d’un délice rare. À chaque fois, il me rappelle cette folle soirée, au cours de laquelle le vin s’est bu au rythme des chansons et des « brindisi » ! (un toast ! ) Nous avons bu à la santé de tous, surtout d’Antonio, mais également de l’Italie, de la France, de l’Erasmus, de Zidane, de politiques italiens que je ne connaissais pas. Nous avons chanté des airs que je ne connaissais pas (« ti canterò come se fosse una canzone… ») et ri à pleine gorge. Plus tard, nous sommes repartis déambuler dans les rues de la ville déserte, toujours chantant à pleine voix, nous laissant aller à toutes sortes de comportements que la morale réprouve, que le vin autorise et que l’ivresse pardonne.

C’est une belle gueule de bois qui m’attendait le lendemain, et une dégaine de vampire après un banquet ; je m’étais demandée pourquoi le domaine de provenance de ce vin dont nous avions abusé s’appelait « ciliegio », littéralement « le cerisier. » À en juger par la teinte cramoisie de mes lèvres et gencives, j’ai la réponse. On aurait dit que je m'étais enfilée trois kilos de cerises noires, et même le signal plus blancheur n’a rien pu faire sur le moment. Qu’importe, ma tronche de vampire (pâleur et yeux bouffis qui vont avec) et moi-même avons mis à profit les heures perdues d’un lendemain de soirée arrosée à errer dans la ville, portés par le vent de décembre. Sienne était une carte postale ce jour-là, la pâle lumière de l’hiver lui avait volé ses couleurs, mais les illuminations de Noël réchauffaient son cœur. Trois jours plus tard, un autre ami se diplômait, et célébrait l’événement sur le modèle plus traditionnel de la house party. Je suis restée à l’écart du cubis de ciliegio sur conseil expresse de mes tripes. Antonio partait le lendemain. C’était la dernière soirée, et je me suis laissée surprendre ; j’avais oublié à quel point c’était difficile de dire au revoir à un ami. Un ami, ça ne se perd pas, pas après cinq, dix ni vingt ans. L’amnésie est la seule cause naturelle de fin d’amitié. Mais se séparer d’un ami sans savoir quand est-ce qu’on le reverra la prochaine fois, ça reste une déchirure, et la douleur est insupportable. J’avais oublié, et j’étais inconsolable, notamment parce qu'il n’était que le premier. Dans quelques mois il me faudra repartir, rentrer à Lille, et laisser derrière moi tous les amis que je me suis faits et que je me ferais encore cette année, sans savoir quand est-ce que je les reverrais. La douleur des adieux à Antonio est encore présente dans ma gorge, et la perspective d’être moi-même celle qui partira, de ne pas pouvoir pleurer avec ceux qui restent me glace le sang. Il est tellement facile de se faire des amis. Pourquoi faut-il qu’il soit aussi difficile de s’en séparer ?

J’écrivais ces lignes depuis l’aéroport de Pise, en attente d’un décollage pour Francfort sans cesse repoussé, en raison du vent, nous dira-t-on plus tard. J’aime l’ambiance des aéroports comme celle des quais de gare, la sensation de liberté qui monte à la tête du voyageur solitaire…tourné vers l’avant, sur le départ. J’aime être spectateur du ballet incessant des retrouvailles et des adieux, ceux qui la jouent sobre, ceux qui sortent les mouchoirs. Les amoureux qui se retrouvent, les embrassades de ceux qui sont enfin réunis… J’essaye de m’habituer, mais il faut se rendre à l’évidence. On ne s’habitue pas à partir ; c’est toujours une violence.


C.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

mercoledi et non miercoledi

Tanti auguri per te.

Célimène a dit…

effectivement, un résidu espagnol... miercoles !

bon signe, ça veut dire qu'il y a encore des fossiles de cette langue sous la couche "italien". Bon présage pour le retour à la LV2 espagnole en septembre !

(soyons optimistes !)