Dimanche 9 septembre 2007.
Ma première semaine à Sienne s’achève, et la frénésie des premiers jours a très vite laissé place à une frustration intense, de celles qui rendent fou. Voilà une semaine que je suis murée dans le silence, muette d’ignorance et sourde d’incompréhension. Je ne parle pas l’italien. Je le lis, maladroitement. Je l’écris, avec le dictionnaire dans la main gauche et le Bled de conjugaison dans la main droite. Après une semaine de cours intensifs, soit quatre heures par jour ces quatre derniers jours, durant lesquels "nous mangeons la pizza" à tous les temps de l’indicatif, je sais faire des phrases simples, et je m’exprime comme un enfant de quatre ans, en sujet-verbe-complément. Certains d’entre vous sont dans le même cas (voire pire !) d’autres l’ont été, vous savez de quoi je parle. Ça me rend folle, ce silence, moi qui d’ordinaire fatigue mon entourage à force de parler. Ça m’épuise de mobiliser une telle concentration pour arriver à comprendre et à répondre sommairement aux requêtes les plus élémentaires de la vie quotidienne ; tu manges avec nous ce midi ? Tu as besoin de la salle de bain ? A quelle heure tu rentres ? Comment s’est passée ta journée ? La réponse à ces questions anodines me demande autant d’efforts que l’ascension d’un dénivelé de deux cents mètres. J’essaie de canaliser cette frustration comme je peux, j’essaie de faire rentrer un maximum de mots en regardant la télé, attrapant au passage quelques mots de vocabulaire familier, je lis le dictionnaire, je me récite les conjugaisons… J’essaie au maximum de ne pas plonger vers la solution de facilité : passer le plus clair de mon temps avec les Erasmus qui vivent la même situation ; d’aller parler anglais avec eux, d’étancher ma soif de paroles dans une langue familière, amie. Mais non, je reste avec les italiens, qui parlent vite, avec une aisance insolente. En fin de journée, ce bruit devient une véritable agression, une intrusion violente dans cet étouffant espace de silence : condamnée, toujours, à hocher la tête, en souriant (quand même !) et repousser un peu plus profondément une nouvelle vague de frustration…
Du côté des bonnes nouvelles, j’ai trouvé la coloc’ idéale. Je suis au centre du centre du centre, à moins de cinq minutes de marche de tout ce qui importe :
la piazza del campo, le Bar de ouf ou il y a buffet « d’italianneries » pour l’apéro (« antipasti »), la piazza gramscie d’où partent les bus, et du supermarché « locaux ». Je précise « locaux » par opposition à « touristes ». Faire ses achats à Sienne est en effet comme marcher à travers un champ de mines : le but étant d’éviter les boutiques « touristes », où les prix pratiqués font pâlir. Il faut donc être extrêmement prudent, car l’autochtone n’est pas très prompt à te diriger vers sa boutique à lui lorsque tu l’adresses dans un italien hésitant, doublé d’un fort accent étranger. L’accueil peut aller de correct à carrément méprisant. La dame du point informations de la station de bus détenant actuellement la palme d’or de la non-amabilité. Alors que je lui ai poliment demandé à quelle heure partait le prochain bus pour aller à la plage, et quel était le nom de la station balnéaire la plus proche (le tout avec un parfait usage du conditionnel, poli et tout et tout) m’a répondu à une vitesse indécente sans lever les yeux. Elle a tout de même daigné m’adresser un regard débordant d’exaspération quand je lui ai demandé de m’écrire le nom de la ville. Parce que « castiglione della pescava », ne lui en déplaise, c’est un peu plus compliqué que « Roma » ou « Lucca ». Salope. Le « tour-racisme » est perceptible.
Je vis donc au dernier étage d’une résidence à l’allure médiévale, comme le sont également les installations sanitaires : prendre une douche est un exercice requérant patience, souplesse, agilité, mais aussi un mental d'acier. Je me demande simplement si la machine à laver peut effectivement laver à 40°C comme elle l'indique ; par principe, je vais laver à froid. Je ne supporte pas l'idée que mon linge ait droit à 1h d'eau chaude quand je n'ai pas le droit à plus de 2 min ininterrompues. A part ces quelques désagréments, l’appart est super, la cuisine est équipée comme je l’aime, et les colocs sont super sympa ; Letizia, 22 ans et Sara, 29 ans sont italiennes et ne parlent que l’italien, ce qui rend la communication hésitante et la vie quotidienne…amusante… Je partage une chambre double (c’est courant en Italie) avec Tiina, finlandaise qui parle couramment l’italien. Toutes les trois sont fort sympathiques, et extrêmement patientes avec moi, bien plus que je ne le suis avec moi-même.
Vendredi soir a eu lieu la première soirée organisée par le groupe Erasmus de Sienne, ce qui m’a permis de découvrir la discothèque italienne… Après 20min de bus, nous débarquons à l’Essenza, immense boite au milieu de nulle part. La soirée a plutôt mal commencé ; je me suis approchée du bar pour lire l’unique affiche : « alcool : 8€ ; sans alcool : 5€ » (je traduis.) Bon, finalement, j’ai pas soif. Le jeu a ensuite consisté à regarder les Erasmus s’approcher un à un du bar, lire l’affiche, puis venir nous rejoindre sur les banquettes, moitié exaspérés moitié hilares. Heureusement, le Groupe Erasmus a la classe, et nous a tous payé un coup, et deux « vodka-lemone » plus tard, j’étais dans l’état que vous imaginez. Figurez vous que je parle vachement mieux l’italien quand je suis un peu pompette, je vais remettre ça plus souvent.
La bonne surprise c’est que la boite est NON FUMEUR à l’intérieur, donc je n’ai pas chopé de bronchite, ni de brûlures de cigarettes, ce qui achève de rendre le bilan de cette soirée positif. Eh oui, les restaurants et les bars aussi (me semble-t-il) sont non fumeurs, les gens sortent pour en griller une. Vivement février 2008.
Samedi matin, nous sommes allés en visite organisée à San Giminiano, à une petite heure en bus. Temps magnifique (c’est encore l’été ici bien sûr). J’avais déjà visité ce village médiéval il y a quelques années, mais par 40°C, nous ne nous étions pas attardés. La visite guidée m’a laissée sans voix. Non que cette absence de dialogue ait été remarquée, mais ce silence-ci était différent. Il n’y a tout simplement pas de mots pour décrire cet endroit. Tout est si bien conservé, que d’apercevoir du linge qui sèche à une terrasse, ou de croiser une vieille avec son cabas, est frappant comme un anachronisme ; on s’y croirait. San Giminiano fait passer Carcassonne et Rocamadour pour Disney Land – un parc d’attraction. Au cours de la visite, nous avons croisé un mariage, et vu les mariés descendre de la chapelle par un escalier de pierre. Encore un anachronisme dans ce décor médiéval. C’était beau. Tout dans ce village était beau. Il n’y a pas de meilleur mot.
Samedi soir, bien sûr, c’était le décevant France-Italie, occasion manquée de prendre notre revanche sur le mondial… Même si d’un point de vue très personnel, je suis plutôt soulagée que la France n’ait pas battue la Squadra ; le foot occupe ici autant d’importance que Sarkozy dans les médias français. Je me suis pris quelques « coupe du monde 2006 ! », mais à la réponse « Euro 2000 !!! », le sujet était clos. On ne plaisante pas avec le foot !
J’ai passé mon dimanche à essayer d’apprendre par cœur le dictionnaire, histoire de canaliser ma frustration dans une activité productive. Je fais des duels de conjugaison avec une allemande et une portugaise (je mène !) et je regarde un jeu télévisé genre « Qui est qui » histoire d’enrichir mon vocabulaire des métiers. C’est difficile, au-delà de ce que j’imaginais. Non pas tellement la langue, qui est très proche du français, mais le sentiment d’être abrutie, muette. Voyons le côté positif, je fais de très grands progrès en mime. Ma carrière théâtrale est plus que jamais relancée !
C.
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